Silence dans la salle

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Noir. Un projecteur éclaire faiblement la centre de la scène. Je suis en plein dans le faisceau, comme un lapin aveuglé par les phares de la voiture qui lui fonce dessus. Mais puis-ce que vous êtes là, autant que je vous raconte. Vous êtes venus pour ça non ? Soit. Asseyez-vous confortablement, on en a pour un moment.

Quand je suis seule, je parle. Je parle dans le vide. Je parle avec des gens qui n'existent pas. Je sais qu'ils ne sont pas réels. Juste... Parfois ça fait du bien de tout oublier et de recommencer à zéro, ne serait-ce que pour quelques secondes.

Je suis vide. Vide de sens. Revivre ainsi encore et encore me donne quelque chose de tangible en quoi croire. Et parfois, j'aimerais n'avoir jamais essayé de me poser des questions. J'aurais pu vivre insouciante.

Les questions que je me pose dépassent l'esprit des simples grains de poussière dotés par un extraordinaire hasard de conscience que nous sommes. Et je ne peux pas y trouver de réponse. Simplement parce que je ne suis pas assez intelligente pour appréhender la portée des conclusions auxquelles je pourrais arriver.

Peut-être la réponse à la question que l'humanité se pose depuis la nuit des temps est elle dans un des mes innombrables monologues, mais si c'est le cas, je n'ai ni la sagesse nécessaire pour la déceler, ni l'abnégation de remettre en cause toutes mes certitudes les plus profondément ancrées.

Cette fameuse question, c'est "Pourquoi ?". Pourquoi tout. Pourquoi la vie, pourquoi la mort, l'existence, le temps, l'amour... Pourquoi se pose-t-on des questions ? Je vous l'avais dit. Tout.

J'aime à penser que si la réponse nous était donnée par un quelconque moyen, l'humanité serait juste déçue. Elle se dirait : "Alors c'était ça ? On a attendu juste pour ce truc décevant ?", et chacun retournerait à sa petite vie bien rangée sans que ça change plus la face du monde que si le nez de Cléopâtre avait été plus court. Si l'on a imaginé une chose pendant si longtemps que c'en est devenu une obsession, si l'on a imaginé que cela remettrait en question tous les fondements primordiaux dans lesquels l'on croit, la réalité ne pourra que nous décevoir. Il y aurait bien quelques illuminés — il y en a toujours — pour chercher un sens plus profond à tout ça, mais ils échoueraient à coup sûr. Ce sont des humains après tout. Comme vous et moi. Si l'on attendait de l'humanité qu'elle fasse preuve d'intelligence, on aurait déjà bien assez poireauté comme ça sans en rajouter.

Cependant, j'aime bien me poser des questions. Ca ne coûte rien et c'est plutôt édifiant. Si, si, je vous jure ! A défaut d'apporter un sens à votre vie, ça vous permettra au moins d'organiser un peu mieux vos idées.

Mais dans mes grandes listes mentales de questions à me poser à moi-même, quelques concepts occupent éternellement le podium : la mort, la potentielle existence d'une entité supérieure, et la peur. Par ailleurs, notez la relation de causes-à-effets entre ceux-ci. Comme j'ai tout de même envie que vous écoutiez la suite de ce long monologue au lieu de ruminer ce que je viens de dire, je vais vous faire l'affront de l'expliquer, ce qui ne vous inquiétez-pas, sera court : la peur découle directement — mais entre-autres, je me dois de le préciser — de l'existence indéniable de la mort, et de celle plus hypothétique d'une quelconque entité supérieure.

Et quand je me pose ces question, j'en viens à me perdre dans des abîmes de réflexions qui vous sembleraient, chers adultes présents dans la salle, bien trop complexes pour la fillette d'à peine douze ans que je suis. Détrompez-vous ! L'on est jamais trop jeune pour commencer à se questionner. Et l'on est jamais trop vieux pour continuer. De sept à soixante-dix-sept ans qu'ils disaient !

Prenons tout cela sous un autre angle. Essayons de reproduire le phénomène de questionnement existentiel en direct, et à haute voix. La question sera donc "Qu'en-est-il de la potentielle existence d'une entité supérieure ?"

Eh bien, pour verser dans le traumatisme lyrique, je vais faire dans le sensationnel, le grandiloquent ! Puis-ce que je suis loquace ce soir, je vais en profiter.

*élevant le ton*

Et vous cher public, qu'en pensez-vous ?

Suis-je folle ?

Êtes-vous fous ?

Sommes-nous fous ?

Oui, c'est fortement probable.

Nous sommes fous, car nous ne sommes que les pantins de chair et de sang d'une entité qui dépasse notre simple pensée, que même les tréfonds de nos esprit ne peuvent pas concevoir, car tout est voulu, prévu. Nous sommes tous réglés comme du papier à musique, dansant un ballet plein de faux semblants plus vrais que nature.

*descend de scène et déambule dans l'allée centrale*

Sachez que si nous découvrons un jour que ce que vous prenez pour des affabulations — bien que cela en soit peut-être — est réel, c'est que cela aura été voulu ainsi. Rien n'est fruit du hasard, tout est calculé, tout se passe comme prévu, et nous y sommes impuissants.

*pendant sa tirade, commence à renifler, hoqueter*

*s'assied sur la bord de la scène, bien en face de l'allée centrale*

Vous n'avez aucun choix. Rien ne vous appartient dans votre vie dérisoire, une seule sur plus de sept milliards d'autres. Vivez avec ça. Et laissez moi pleurer en paix.

*sanglote doucement dans ses mains sur la dernière phrase et continue pendant que le noir se fait dans la salle*

*saute au bas de la scène, et salue le public dès que les lumières se rallument*

*s'éclipse dans les coulisses*

Petite réflexion philosophique d'une enfant qui ne changera rienWhere stories live. Discover now