Une journée de plus

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Les premiers rayons du jour transpercent ce que l'on peut difficilement appeler des volets. Ceux-là même qui m'ont tenu éveillée toute la nuit à cause des bourrasques qui ne quittent plus la ville depuis deux jours. C'est donc les muscles endoloris, les cernes sous les yeux et les cheveux en bataille que je pose le premier pied de la journée par terre. On dit toujours que le premier pied posé défini notre état du jour. A en croire cette légende, ma journée sera encore pire que ma nuit. J'ouvre les placards à la recherche d'un peu de réconfort mais l'étagère vide ne fait qu'empirer la situation. Fatiguée à l'avance d'une journée qui s'annonce compliquée, je remet le réveil une vingtaine de minutes plus tard et m'affale sous la couette. Malheureusement pour moi, la sonnerie retentit pour la deuxième fois de la journée et le deuxième pied posé n'annonce rien de mieux que le premier. J'attrape mon sac machinalement en y fourrant mes cahiers et claque la porte derrière moi sans même avoir pris le temps de faire quelque chose de ma tignasse. Tant pis, après tout, ce n'est qu'une autre journée sans prononcer un mot. Je m'assois à côté de la fenêtre au fond de la salle et passe les quatre premières heures de la journée à contempler le paysage grisâtre qui s'étend en dehors du bâtiment. Dans cette zone industrielle, un immeuble quelque peu coloré devient un des plus beaux paysages de mes journées. Pas d'immensité bleue, pas de verdure abondante, pas de soleil éblouissant ; des immeubles, du brouillard et de la pollution, voilà ce qu'à cette ville a de plus beau à offrir. Entre deux regards vers le monde extérieur, je me perds sur mon téléphone parmi la multitude d'applications de voyage que je peux trouver. Généralement, toutes mes recherches aboutissent toujours à la même conclusion. Si j'avais plus d'argent, je ne serai pas coincée dans cette ville ennuyeuse, si j'avais plus d'argent, je pourrai mettre un peu de piquant à mon existence maussade, si seulement j'en avais. A la place, je me contente de me perdre dans les photos de paysages au lieu d'y être. Un jour, je m'en suis fait la promesse, je quitterai tout. Ville, ami, famille, je partirai sans me retourner à la conquête de la planète. Durant des années entières, je ne remettrai pas un pied dans ma terre natale, ni même dans mon continent natal. Je me contenterai de découvrir tous ces lieux qui me sont inconnus, toutes ces cultures qui me sont totalement étrangères, tout ces élans de bonheur qui me sont jusqu'alors refusé.

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Je n'avais en aucun cas prévu d'écrire une auto-biographie. Dans mon esprit, ce genre d'œuvre ne peut émerger que de la plume d'un aventurier, d'un politicien ou de quiconque ayant vécu quelque chose digne d'être vécu. Or, lorsque je lis ces premières lignes, le constat est flagrant. Bien que d'un ennui mortel, ce texte reflète à la perfection mon quotidien morose. Cela devrait m'inquiéter, si jeune et déjà si éteinte. Étrangement, je me sens rassurée, rassurée d'être si éveillée, rassurée de ne pas me voiler la face comme le font les dépressifs dans le déni. Cette phrase peut paraître troublante mais je suis heureuse d'être consciente de ma tristesse.

Une journée de plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant