Chapitre 10 - Nell (2nde partie)

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Nell, 24 ans, New York

Je pédale furieusement sur la voie réservée aux bus et taxis. Un dérapage devant un cab qui m'incendie de coups de klaxon, et je me faufile dans une ruelle sur ma droite. Ici, la neige n'a pas été déblayée et mes pneus mordent dans la poudreuse. Les bruits de circulation assourdis me laissent l'impression de rouler dans un cocon floconneux.

La ville s'offre à moi, et ma vie m'échappe.

Je redouble de vitesse pour ne pas perdre l'adhérence, mes cuisses me brûlent, mais toujours moins que mes yeux d'où s'échappent des larmes incontrôlables.

Je ne ralentis pas lorsque je débouche sur une artère passante. Un crissement de pneus m'avertit que je viens d'échapper de justesse à l'accident.

La conscience du danger accélère à peine les battements de mon cœur. La cadence que mon organe vital a adoptée est déjà effrénée, boostée par les émotions et l'effort physique.

Il faut pourtant que je ralentisse, sous peine de finir écrasée sous des tonnes de métal.

Mais à quoi bon ? À cet instant, j'ai le sentiment qu'une collision frontale avec une berline me fera toujours moins mal que l'étau qui me broie la poitrine, comme Mac me broyait le poignet tout à l'heure.

Je n'ai pas été capable de le regarder en face et de lui hurler de disparaître. Comme autrefois, il a su me toucher, trouver la voie jusqu'à ma poitrine cadenassée. Je n'ai pu que faire un pas de côté, pour qu'il me laisse tranquille.

Je ne me voile pas la face, il n'y a pas 36 solutions. En fait il n'y en a qu'une. S'il ne veut pas s'effacer, c'est moi qui mettrai la distance nécessaire.

Je suis dans une voie sans issue, une impasse dans laquelle il m'a acculée alors qu'il y a trois jours, je roulais sur une route parfaitement dégagée.

Je vais devoir trouver un autre boulot, quitter la routine à laquelle, contre toute attente, je commençais à m'attacher...

Bon sang ! J'essuie rageusement mes larmes du dos de la main, m'exhorte à me reprendre.

Ce n'est qu'un travail de coursier !

Je retrouverai un job similaire en moins d'une semaine dans cette ville. Ok, je ne travaillerai plus avec Jayla et Tanner, mais ils resteront mes amis et colocs. Et puis nous savons tous les trois que cette bulle dans laquelle nous évoluons à Del. Ex. n'est qu'éphémère.

Tanner n'a pas abandonné l'idée d'ouvrir sa boutique pour les mordus de BMX, Jayla fait ses études d'ingénieur et moi... Moi, déjà, le fait d'être restée 3 ans dans la même boite relève de l'exploit.

Non, ce qui noue mon estomac, serre mes tempes et me donne l'impression que mon cœur va imploser, c'est que ce soit lui qui, encore une fois, me déloge de ma vie, sape mes projets.

Je ralentis peu à peu, à mesure que ma rage décroit, que la tristesse prend définitivement sa place et alourdit mes mouvements.

Je me reconnecte à mon environnement, après de longues minutes à pédaler dans le seul but d'étouffer ma souffrance. Je relève la tête, laisse la bise sécher les larmes sur mes joues.

Je reconnais aussitôt le quartier dans lequel j'ai fini par atterrir. Les buildings ont disparu, remplacés par des immeubles plus modestes, mais au maillage aussi dense. Certaines façades, zébrées d'escaliers de secours métalliques, auraient besoin d'un ravalement. Les enseignes des magasins s'ornent de caractères chinois ou de mots espagnols.

Mes coups de pédales s'adoucissent un peu plus quand l'image de Luke s'impose à moi. Le garage dans lequel il a déniché le job nécessaire à sa libération conditionnelle se trouve dans les parages.

Over The Bars (Sous Contrat D'édition Hachette BMR)Where stories live. Discover now