4. Cache cache de crise featuring la musique de James Bond

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Le lendemain matin a été moralement très éprouvant pour moi.
Tout a commencé à onze heures très précisément, quand j'ai fermé la porte du frigo d'un geste dramatique. Il était vraiment absolument et irrémédiablement vide, comme le placard, et c'était scandaleux parce que je n'avais pas encore pris mon petit déjeuner et que j'avais super faim, et que j'étais de mauvaise humeur. Enfin, de pire humeur que d'habitude.

— Vous avez pas fait les courses, j'ai donc remarqué avec une voix calme et posée, en essayant d'avoir l'air de bonne humeur.

C'était un simple constat. Je n'avais mis aucune agressivité dans ma voix.
Depuis l'incident (le téléphone, le vol de la voiture, la fête, et le reste) du premier soir, je faisais tout mon possible pour être irréprochable, mais c'était très dur.

Agathe, affalée sur la table devant un verre d'eau, a levé sur moi des yeux endormis et ma mère a baissé son livre.
On était tous les trois dans la cuisine, et à part Bettina et nous, il n'y avait personne au manoir.

— Non, a sèchement répondu ma mère comme si c'était une réponse suffisante.

Et en fait, c'était probablement une réponse suffisante, avec l'incident et tout ça, mais la question n'était pas là.
J'ai pris une grande respiration, style yoga et self control, et je me suis appuyé sur le frigo avec un air dégagé de personne cool.

— En fait j'avais remarqué. Ce que je veux dire c'est : qu'est-ce que je suis censé manger ?

Je n'ai pas pu m'empêcher de prononcer la seconde partie de ma phrase avec mépris. Mince.
Exactement ce que je voulais éviter.
Pourquoi est-ce que c'était si dur d'être gentil ?

Ma mère a réagi du tac au tac. Elle a baissé son livre et a plissé ses yeux, les lèvres pincées. Aïe.

— J'en sais rien. Mais après, tu as presque dix-sept ans, tu es grand, et il me semble que tu nous as bien prouvé ton autonomie ces derniers jours. Tu peux très bien aller faire tes courses toi-même., elle a sifflé.

— Oh, j'ai répondu en fixant le ventilateur devant moi avec dédain.

— Et, évidemment, conclusion ; ne compte pas sur moi pour descendre au village t'acheter à manger. Mais par contre je veux bien un tube de lait concentré sucré, si tu comptes y aller. Simple suggestion, hein.

J'ai levé les yeux au ciel.

— T'as qu'à aller à la supérette avec tes amis comme, je sais pas moi, la gentille jeune fille que j'ai eue au téléphone avant-hier par exemple, elle a repris avant de se replonger dans son livre comme si de rien n'était.

J'ai dégluti. Parce que si ma mère était suffisamment cool pour ne pas nous avoir trop engueulé pour la nuit, et pour ne pas l'avoir dit aux parents de Bettina, elle était aussi suffisamment nulle pour me rappeler le truc du téléphone jusqu'à la fin de mes jours.
Du coup, je lui ai jeté un regard condescendant en me retournant, prêt à sortir de cette cuisine de malheur pour me recoucher.
Mais Bettina est entrée dans la pièce, bien déterminée à s'occuper de tout sauf de ses stupides onions.
Je me suis arrêté devant elle avec effroi.

— On parle de quoi ?, elle a demandé avec un sourire radieux.

J'ai prié de toutes mes forces pour que ma mère se taise.

— Rien. Je proposais juste à Camille d'aller faire les courses avec ses copains., a quand même expliqué ma mère sans faire preuve d'aucun scrupule.

J'ai voulu tomber à genoux et hurler ma rage. Mais je ne l'ai pas fait, parce que le carrelage était plein de sable, et puis parce que ça aurait été un peu étrange de hurler ma rage au milieu de la cuisine sans prévenir, même venant de moi.

L'AUBE DES DERNIERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant