Chapitre 38 - Vie de merde & Calimero

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Il faut que je me sorte Olivier de la tête. Je sais ce que j'ai à faire. Il a confiance en moi.

Allez, Philippine ! Montre-lui, à la rouquine, qui est le patron ici.

— De toute évidence, la présentation de Mademoiselle March était excellente et il me sera difficile d'être plus convaincante qu'elle. Néanmoins, son approche du marché asiatique et de ses opportunités reste très classique, banale. Du déjà-vu, en somme. Ce que nous vous proposons, nous, c'est quelque chose de nouveau. Un concept visant en premier lieu, une classe d'âge spécifique : les jeunes. En effet, pour le nouveau produit que nous vous proposons, il n'y a rien de mieux que d'utiliser les jeunes et leurs savoir-faire sur la technologie. Ils seront les premiers à donner des avis sur internet, à échanger, à partager des publicités, à s'intéresser à ce qui sort, à ce qui se fait. Puis petit à petit, cela va grignoter autour d'eux. D'autres gens vont se rajouter en se disant « J'en ai entendu parler, ça a l'air pas mal ». Ils vont essayer à leur tour, etc. La machine se mettra alors en route d'elle-même. Ce que nous voulons, ce n'est pas vendre du rêve sur un produit qui décevra certainement quelques-uns, car des insatisfaits, il y en a toujours, mais nous voulons profiter et surfer sur cette vague de communication qui se fera d'elle-même. Nous pourrons alors créer des enquêtes de terrain et aller chercher des réponses directement auprès de nos consommateurs. Nous saurons alors rapidement ce que nous pouvons changer, améliorer, jeter. Ce que nous allons vendre et produire n'est pas juste un produit parmi tant d'autres. Ça sera « LE » produit par excellence, car il sera fait et façonné selon l'image et les attentes d'une population.

Achète mon discours. Achète mon discours. Achète mon discours.

— Bien, je vois. Il est vrai que le concept de Mademoiselle March est intéressant, rassurant, car c'est marcher dans des pas déjà faits, mais vous proposez une nouvelle approche, encore inédite, mener nous-mêmes les enquêtes et prendre en main ce que nous faisons... J'aime cette vision. De plus, dans une société de consommation très poussée, cela donne l'impression aux gens non pas d'être des robots à la merci de grosses corporations, mais d'être réellement des acteurs de ce monde, si je puis dire en m'avançant grandement. Je pense que je vais prendre le risque et signer avec vous, Mademoiselle Tagliani.

Ouais ! Yes ! Dans ta face, Poil de carotte !

— Mademoiselle March, ce fut un plaisir.

— Moi de même. Nous nous reverrons prochainement, Mademoiselle Tagliani.

— Ce n'est pas demain la veille, croyez-moi ! N'oubliez pas votre mouchoir en tissu pour pleurer dans les toilettes.

Victoire pour le peuple !

Finissant mon accord sur une belle signature et une poignée de main significative, il ne me reste plus qu'à retourner à l'hôtel pour fêter ma victoire du jour et l'immense satisfaction que j'ai d'avoir battu Judith March.

Enivrée par ce moment de joie, j'ai volontairement accouru jusqu'au-devant de la porte de chambre d'Olivier avant de me souvenir qu'il n'était certainement déjà plus là.

C'est vrai. Je vais célébrer seule.

Peut-être pourrais-je l'appeler ?

Je compose son numéro pour lui annoncer la nouvelle et tombe directement sur le répondeur.

Bon. Tant pis.

— On dirait que tu vas devoir fêter ça avec ton égo, Philippine. Comme d'habitude.

D'ailleurs, à force, je lui ai donné un petit nom. Il s'appelle « Robert ». Ne me demandez pas pourquoi, c'est juste que je trouvais ça bien : Robert.

— Petite coupe de champagne pour toi et moi, Robert ? Mais allons-y ! Soyons fous ! Faisons-nous un petit plaisir coupable. Avec ça, nous allons bien reprendre des pistaches aussi, non ? Mais oui ! Par contre, on arrive au bout du stock de pistaches.

Et toutes les coquilles sont au sol.

Oh et puis zut ! Quitte à devoir partir des Philippines bientôt, autant en profiter et faire n'importe quoi. C'est trop nul de rendre une chambre toute propre comme si nous n'étions jamais passés.

Pour la peine, j'ai fait déborder la baignoire, prenant soin de mettre de l'eau partout. J'ai vidé le mini-bar aussi, mais ça, c'est un classique.

— Et maintenant, Philippine ? Que vas-tu faire ?

Aucune idée. J'ai l'impression d'avoir joué comme une enfant pendant trois heures, mais que, malgré tout, il me manque quelque chose. Un camarade de jeu. Quelqu'un avec qui rire.

Alors, j'attrape mon téléphone, réessaye le numéro d'Olivier, mais obtiens le même résultat.

Pas de réponse.

Quel type ingrat. Je me tape des heures de vol pour lui. Je tolère les moustiques de ma chambre pour lui. Je me suis battue contre Judith pour lui. J'ai obtenu le contrat de partenariat pour lui... Et il ne répond même pas au téléphone ? Je vais le défoncer. Promis, je vais le défoncer.

— Va te coucher, Philippine, ça ne te va pas d'en vouloir à la Terre entière.

En fait, présentement je me sens comme Calimero, mais sans la coquille. Je devrais peut-être m'en acheter une, tiens, et faire ma malheureuse. M'apitoyer sur mon sort et chanter « Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ».

Bon, ça suffit maintenant, Philippine. On arrête ça de suite. Va donc te commander à manger, tiens, ça te changera les idées.

— Je pourrais passer ma soirée à me plaindre...

Surtout en sachant que je m'appelle Philippine Tagliani et que je suis en train de manger des tagliatelles aux Philippines.

J'ai vraiment une vie de merde, sous certains aspects. 

Philippine - Tome 1Where stories live. Discover now