"Le ciel était encore bleu."

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  Il était seize heures trente. Ma journée de cours venait de se terminer. Les élèves avaient été particulièrement pénibles ce jour-là. Je me sentais nerveusement épuisé, j'avais sévi, donné beaucoup de devoirs absolument inutiles pour le lendemain. Je me disais que cela leur apprendrait. J'étais passé faire quelques photocopies avant de partir.

  Mon salaire de professeur d'histoire-géographie à mi-temps dans mon collège de banlieue ne me suffisait pas pour me payer une voiture,je pris donc les transports en commun. Un événement étrange attira mon attention : le bus aurait du être plein à craquer à cette heure-ci.

« Bah,pensai-je, les gens ont dû terminer plus tôt, voilà tout ».

Mais à présent que j'y pensais, je n'avais pas croisé en sortant du collège les attroupements habituels d'élèves.

«Il doit y avoir un événement en ville », me rassurai-je.

  En revanche, lorsque j'arrivai à mon minuscule appartement aux environs de dix-huit heures, un frisson me parcourut : on était le 2Ojanvier, c'était le soir, et il ne faisait pas encore nuit ! Commençant à paniquer, je cherchai sur Internet, je regardai dans la rue ; personne n'avait l'air choqué de cette absence de nuit.

  J'en étais là à me demander ce qu'il se passait, quand le téléphone sonna, me faisant vivement sursauter. Je répondis. L'échange ne dura pas plus de cinq minutes mais il me plongea dans la perplexité la plus totale et ne fit qu'accroitre mon angoisse. C'était le directeur du collège dans lequel je travaillais, qui me demandait pourquoi je n'étais pas venu assurer mes cours après la pause déjeuner.

  Tout d'abord, je crus à une blague. Je décidai donc d'appeler des collègues pour vérifier. Tous me donnèrent la même réponse. J'avais donc d'après eux bien un cours à donner. Je crus à une blague collective, tout le monde s'était donné le mot ! Puis je me souvins du ciel encore bleu, de l'absence d'attroupements à la sortie du collège. Et je dus me rendre à l'évidence : je devais retourner au collège.

  Lorsque j'arrivai dans l'établissement un peu plus tard - il était 19h30 - ma classe attendait dans un bruit épouvantable. Je jetai un coup d'œil à mon emploi du temps et ce que je vis me figea sur place : il avait été modifié presque entièrement ! Or, il était resté dans ma poche et personne n'avait pu le prendre sans que je ne le voie. Mais une chose me préoccupait encore plus : je n'avais plus un emploi du temps de huit heures mais de seize heures !

  Je décidai donc de faire mon cours et de voir ce qu'il arriverait par la suite. Au bout du huitième et dernier cours indiqué sur mon emploi du temps, exténué, je regardai ma montre et cette fois-ci je faillis m'évanouir : il était vingt-sept heures ! Perturbé, je demandai à un élève retardataire l'heure, il me répondit d'un air étonné qu'il était vingt-sept heures. Je pus donc enfin rentrer chez moi et c'est, éreinté, à bout de forces, que je me jetai sur mon lit et que je m'endormis.

  Un rêve. Étrange. Je me trouvais dans une sorte de couloir immaculé. J'étais vêtu de blanc, moi aussi. Sans que je ne l'aie décidé, mes jambes se mirent en mouvement et avancèrent le long du couloir. Après un tournant que je n'avais même pas vu tant tout était éblouissant, un autre couloir. Une fois de plus, mes membres agissaient sans que je n'en fasse la demande, et j'arrivai bientôt à la fin du couloir.

  A ma gauche et à ma droite, les murs du couloir se changèrent en vitre, révélant de chaque côté une salle de classe. Je la connaissais bien, cette salle. C'était la salle 204, celle ou je fais habituellement cours à la 4èD. C'était la classe qui me donnait le plus de fil à retordre. La salle de droite et la salle de gauche étaient identiques, avec les mêmes élèves, le même professeur (moi), mais l'ambiance entre les deux était aussi contrastée que le sont le jour et la nuit. Dans celle de gauche régnait le plus grand des désordres ; les trousses et autres objets volaient dans tous les sens, je criais, rajoutais des numéros d'exercices au tableau en ne faisant qu'accentuer le brouhaha. Dans celle de droite, les élèves étaient tous assis à leur place, tranquilles -même le petit Alexis, qui d'ordinaire dansait debout sur son bureau- et attentifs, face à moi-même qui leur souriait, riait même parfois.

  Et c'est alors qu'en survolant du regard une classe et l'autre, je remarquai un détail qui me laissa pantois : l'horloge numérique, à droite du tableau, affichait dans la salle de gauche vingt-sept heures ; tandis que dans celle de droite l'affichage lumineux nous indiquait qu'il était seize heures. Alors je compris.

  Je me réveillai en sursaut, la sueur perlant à mon front. Quelques instants plus tard, mon réveil sonna, me ramenant à la réalité. Je dus donc retourner au travail, à contre-cœur.

  Durant le trajet, la peur s'installa en moi. Et si j'étais réellement un mauvais professeur ? Et si j'étais réellement coincé dans cet engrenage ? Une grande remise en question s'ensuivit. Lorsque je descendis du bus, j'avais pris une décision : aujourd'hui, je serais souriant.

  Curieusement, le simple fait de sourire rendit les choses plus agréables, les élèves semblaient plus faciles, moins récalcitrants. Le lendemain, je me fixai aussi un autre objectif : celui d'être gentil, patient avec mes élèves.

  Le surlendemain, j'essayai de faire un cours vivant et agréable pour les élèves. Et ainsi de suite, effort après effort, je me sentais mieux, l'ambiance de mes cours était plus détendue, les élèves plus réactifs, ils participaient avec entrain et si je les sentais parfois moins attentifs, je ne m'en formalisais plus .

  A partir de ce jour-là, je me rendis joyeusement et le cœur en fête à tous mes cours, une de mes mains enfouie dans ma poche, vérifiant régulièrement que mon emploi du temps de huit heures ne se transforme pas en emploi du temps de seize heures.


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Merci beaucoup d'avoir lu ! :) J'espère que ça vous aura plu ^^

Petite dédicace à une prof d'après qui cette nouvelle est tirée ;)

Le ciel était encore bleu.Where stories live. Discover now