23. La fin d'un monde

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« Chère Edna,

Je t'écris de Jolinar où j'ai bon espoir qu'un courrier pourra te transmettre ma lettre. La guerre se passe bien. Disons qu'il n'y a pas beaucoup de pertes dans nos rangs et que l'envahisseur ne parvient pas à progresser. J'ai le sentiment qu'il se passe quelque chose d'étrange. Beaucoup de vétérans de la guerre ovarke racontent des affrontements de leur époque complètement différents. Ils ont l'air de penser que les Atarks n'ont pas la moindre intention de nous envahir. Pourtant ils sont à nos portes. Et personne ici ne peut comprendre leur langue. Enfin, je crois.

Je ne peux pas encore dire combien de temps durera ce conflit. Ça ne fait qu'un mois que nous sommes sur le front et nous bougeons beaucoup. Je fais attention à moi. Tu me manques et j'espère te revoir bientôt.

Ton Filipe. »

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Adana est épuisée et pourtant elle n'arrive pas à dormir. Elle a passé le reste de la journée de son procès et la moitié de la nuit à pleurer. Elle est à bout de forces, à bout de larmes. Pourtant son esprit tourmenté lui refuse la douceur du sommeil. On l'a débarrassée de ses liens à l'exception d'un bracelet qui enserre sa cheville droite et dont la chaîne, trop courte pour lui permettre de se déplacer dans sa cellule, est scellée au mur. Elle n'aurait pas eu le courage de tirer le battant de la porte même s'il avait été déverrouillé. Son cœur anéanti par la trahison d'Ivrac Orati a laissé le désespoir lui glacer l'âme. Il n'y a pire prison pour ses pensées que les tourments dont elle souffre. Qu'il dispose ou non d'une quelconque autonomie, d'un quelconque libre-arbitre, le Dieu Solaire l'a abandonnée. Elle et tout ce que la Théologie représente aujourd'hui : l'empire du mal.

Son dernier repas a été laissé devant la porte à la tombée de la nuit. Il reste plus d'un jour avant son exécution mais, lors d'une pendaison publique, on ne prend pas le risque de laisser le condamné se vider devant les spectateurs. La jeune femme n'y a pas touché. Elle ne s'est même pas rendu compte de la présence de son ultime festin dont les rats ont profité en grande partie. Recroquevillée dans un coin de son cachot elle demeure immobile depuis des heures, seulement secouée de sanglots.

Le bruit d'une clé jouant dans la serrure et celui caractéristique d'une barre que l'on relève pour débloquer la porte se font entendre. L'étroit passage s'ouvre faisant place à une large silhouette porteuse d'une lanterne. C'est un gardien. Il s'en trouve deux autres derrière lui dans le couloir. Le premier entre en évitant de marcher dans l'écuelle.

– Tu vois, dit-il à celui qui se trouve derrière. Elle n'a même pas touché à la bouffe. Elle vaut plus rien.

Le deuxième ricane et entre à son tour. Les lieux ne peuvent que difficilement accueillir plus de deux personnes tellement ils sont exigus.

– Ça, c'est sûr, fait celui du couloir, on l'aurait pas tenté avant son procès, elle aurait pu mordre. Mais là...

– J'ai quand même emmené un rouleau de corde au cas où elle bougerait trop, argumente le second.

Peut-être que, loin dans l'esprit de la jeune femme, une étincelle de conscience capte la signification de cette visite. Peu importe ce qui peut lui arriver : elle désire mourir plus que tout. Une Adana Tarsis plus alerte aurait immédiatement réagi et aurait su dissuader ces gardiens libidineux de satisfaire leurs envies. S'il en reste quelque chose, cela sommeille trop profondément, à l'abri, dans les replis de son subconscient. Le premier pose sa lanterne et s'avance vers elle. Il glisse ses doigts dans le col de sa chemise et tire d'un coup sec. Les coutures lâchent non sans avoir ébranlé la position d'Adana qui retombe mollement par terre et se roule en boule à nouveau comme si rien ne s'était passé. La vue de sa chair exposée excite davantage le gardien qui s'agenouille près d'elle avec l'intention manifeste de finir de la dénuder sans aucun ménagement.

L'Étau des Ténèbres, tome 1 : Tapi dans la clartéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant