16 Mars

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« L'amour élève ou avilit l'âme, suivant l'objet qui l'inspire. »

Louis de Montchamp

Première Partie

16 Mars 2018

          — Tu préférerais écouter Despacito toute la journée pendant un mois, ou chanter du Britney Spears en direct à la télévision ? me demanda sournoisement Fatima.

          La question me fit grimacer, et je lançai un regard torturé à l'algérienne. La réponse ne s'avérait pas vraiment difficile, c'était le choix qu'elle m'imposait qui me m'étais mal à l'aise.

          — Despacito, et de loin, affirmai-je en refermant mon cahier de maths, conscient que je ne réviserais sûrement pas ce jour-là. Après la première journée, je serais sans doute sourd et ton plan machiavélique aura échoué.

          — C'est vrai que je t'imagine mal sur scène, seul, à chanter – du Britney Spears, qui plus est – sans penser à ces millions de personnes qui te jugent, me nargua Fatima en dessinant un énième bonhomme bleu foncé dans mon agenda.

          — Moques-toi si ça te chante, maugréai-je en lui arrachant son stylo des mains.

          La tête désormais posée sur mon bras gauche, j'observai sans grand intérêt les lycéens défiler dans le couloir. La table que nous avions dénichée dans le hall de l'établissement nous donnait une vue sur les couloirs ainsi que sur quelques salles de classe ; même si la sonnerie avait retenti depuis une bonne dizaine de minutes, certains élèves se baladaient encore avant de rentrer dans leur salle.

          Fatima et moi n'avions pas cours à cette heure-là, mais l'évaluation de mathématiques prévue pour l'après-midi me déprimait trop pour que je ne fasse quoique se soit. Et ce n'étaient pas ses questions sur des chanteuses blondes à la voix nasillarde qui allaient me remonter le moral. L'algérienne était donc restée avec moi, tandis que Raphaëlle s'était rendue en salle de musique, afin de chanter accompagnée d'un piano électrique.

          Fatima m'avait un jour traîné à une de ses répétitions, et je devais bien avouer que la grande blonde possédait une très belle voix, ainsi qu'une grande aisance au piano. Je lui avais également découvert une magnifique sensibilité, détonnant avec son vocabulaire de charretier. Fatima m'avait confié qu'elle aurait aimé chanter comme le faisait son amie, et que, si elle en avait eu la chance, cela n'aurait pas été vers la trompette qu'elle se serait tournée.

          — J'aimerais bien la rencontrer, tu sais, murmura la jeune fille en passant doucement une main dans ses cheveux courts et bouclés.

          — Britney Spears ?

          Vu le regard de mon amie – car c'était ce que nous étions, amis –, j'avais dû dire une belle bêtise. Il fallait avouer qu'elle me sortait cette phrase sans préambule, il y avait matière à ne pas comprendre.

          — Je parle d'Agathe, espèce d'idiot, m'insulta-t-elle simplement.

          — Oh...

          Ce fut tout ce que je trouvai à répondre. La perspective que mon Éphémère et Fatima se rencontre ne m'était jamais venue à l'esprit, et je devais dire que l'idée ne m'enchantait pas vraiment.

          — Elle est vraiment timide, tentai-je en relevant mon buste de mon bras, je ne sais pas si elle voudra bien.

          — Toi aussi t'étais timide quand on s'est rencontrés, ça ne pose pas de problème, proposa mon amie en me secouant le bras.

          — Excuse-moi ? Ce n'était pas une rencontre : tu m'as agressé pour qu'on ait un minimum de conversation. Tu sais que j'ai failli porter plainte ? me défendis-je, retirant son bras par la même occasion.

          Je vis à quelques mètres de nous un garçon de notre classe, s'approchant de notre table sans trop oser. Ses yeux restaient fixés sur Fatima alors que sa bouche tremblait légèrement, comme s'il se répétait un mantra.

          Il s'appelait Alexis, et je ne l'avais remarqué que pour ses remarques comique et spontanée qu'il sortait parfois en classe. Sans chercher à être drôle, il nous faisait sourire tant il stagnait dans un flot d'incompréhension constant. Après quelques secondes à serrer et desserrer les poings, il se décida à venir.

          — Prétendant en approche, je répète, prétendant en approche. À cinq heures, chuchotai-je en évitant le regard d'Alexis.

          Fatima, qui était dos à lui, soupira discrètement et se retourna en souriant lorsque le garçon l'interpella. Depuis quelques mois déjà elle ne sortait plus avec Valentin, et cela n'avait pas manqué de faire du bruit. Ces deux-là étaient comme qui dirait populaires : toujours souriant, à l'aise avec les autres, altruistes, drôles. Ils étaient attirants : c'était ce pourquoi je ne comprenais l'amitié que Fatima et moi partagions. Je n'étais pas attirant, loin d'être une étoile comme Agathe, ou un aimant, telle que Fatima. Je n'étais pas grand chose, à vrai dire.

          — Salut Fat (charmant surnom, n'est-ce pas ?), t'es prête pour le contrôle de maths, toi ? s'immisça-t-il, pathétique.

          — Bonjour aussi, marmonnai-je en roulant des yeux.

          — Ouais, bonjour...

          Notre camarade sembla chercher mon prénom quelques secondes, avant de laisser tomber et de se concentrer sur celle qu'il était venu voir. Nous étions quand même en Mars, et si j'avais réussi à retenir son prénom, il aurait pu faire l'effort de connaître le mien.

          Fatima riait légèrement de notre échange minimal, et si je ne la connaissais pas, je dirais que parler à Alexis ne l'ennuyait pas. Pourtant elle portait sans cesse sa main au coin de sa bouche ; son sourire restait légèrement figé ; le coin de ses yeux ne se plissait pas comme lorsqu'elle était heureuse.

          Après le charabia habituel – qui consistait à parler de tout et de rien, jusqu'à ce que la proposition d'un rendez-vous n'émerge –, et que Fatima ait encore dû rembarrer quelqu'un, nous pûmes reprendre notre conversation.

          — Si j'oublie le fait que tu m'aies accusée d'agression, tu ne m'as pas répondu concernant Agathe. Je pourrais la voir ? quémanda-t-elle, les yeux pleins d'espoirs.

          Bon sang, j'espérais que nous parlerions d'autre chose. Agathe était mon Éphémère, un de ces petits points lumineux dans le ciel qui me permettait de garder les pieds sur terre, la tête sur les épaules et mon cœur près du sien. Je voulais la garder pour moi, pour moi seul.

          — Et puis, tu lui as déjà parlé de moi, non ? ajouta ma voisine.

          Mon sang se glaça subitement, ce qui eut pour conséquence de me paralyser en partie, tandis que mon visage perdit de ses couleurs. Le regard de mon amie semblait convaincu, chaleureux ; un peu fière, même. La honte me prit aux tripes et je baissai les yeux en bégayant. Fatima se mit à rire avec entrain, preuve qu'elle se fichait encore de moi. J'avais l'habitude désormais, pourtant je ne remarquais jamais lorsqu'elle jouait la comédie.

          — T'inquiètes Adam, je me doute que vous avez autre chose à faire, me glissa Fatima, la voix sulfureuse accompagnée d'un clin aguicheur.

          Je soupirai mais ne pus empêcher la sensation que mon cœur s'emplissait, ainsi que le triste sourire qui atteignait doucement mes lèvres. J'aimerais, Fatima, j'aimerais vraiment que nous ayions autre chose à faire ; et prendre conscience de cela m'avait mis une claque.

Ma Seule ÉtoileWhere stories live. Discover now