Chapitre 1 : NAISSANCE

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Mardi 19 janvier 2038, 18h. Neill, un grand homme d'une trentaine d'années environ, avec des cheveux bruns, courts et une barbe rasée, des lunettes à monture noire et épaisse, habillé d'un sweat noir, d'un jean gris et de chaussures bicolores noir et vert, finit sa longue journée de travail et rentre chez lui.

Il retire son sac et le lâche sur le canapé, puis se sert un casse-croûte dans la cuisine et se jette sur son ordinateur fixe dans le salon. La télévision est allumée en fond et diffuse le journal télévisé.

"Le bug de l'an 2038, similaire à celui de l'an 2000*, a touché de nombreux systèmes informatiques dans le monde. Des secteurs d'activités ont dû fermer comme l'aéroport d'Orly, dont les systèmes n'avaient pas été renouvelés depuis plus de 50 ans et qui rouvrira seulement en fin de semaine prochaine, selon le ministère des transports, le temps de remplacer tous les équipements. Ce bug coûtera des millions de dollars à corriger, cela reste un prix dérisoire comparé aux centaines de milliards dépensés lors du bug de l'an 2000, car de nombreuses entreprises et services numériques fonctionnent grâce à Linux, un système d'exploitation protégé de ce bug."

Le journaliste continue son discours alors que Neill soupire déjà. L'approximation des informations données avaient de quoi exaspérer tout pointilleux dans son genre.

"Linux n'est pas un OS, bordel !" s'écria-t-il dans sa tête, avant de se calmer en mettant ça sur le dos de la vulgarisation. De toute façon, la télé est devenue très médiocre depuis la domination d'Internet. Déjà que, pour une fois, ça parlait un peu plus techniquement, on pouvait franchement applaudir l'effort. Et puis il est vrai qu'il aurait été difficile d'expliquer simplement et rapidement ce qu'est Linux, GNU et tout le tralala autour.

Neill se reconcentre sur son ordinateur et ouvre un fichier solution, COLOSSUS.sln, contenant un projet très particulier qu'il implémentera dans son robot personnel une fois terminé.

Les robots se sont démocratisés dans pas mal de foyers, en tant qu'assistants ou de jouets pour les enfants. Ils facilitent grandement la vie des gens et les divertissent, mais Neill les trouve sous-exploités. Il pensait la même chose des assistants personnels comme Siri et Cortana il y a 20 ans, d'ailleurs ce projet était originellement destiné à remplacer ces assistants par quelque chose de beaucoup plus évolué.

On vante l'intelligence artificielle comme étant réellement intelligente alors qu'au final, ils ne répondent qu'à des ordres pré-enregistrés. Neill voulait quelque chose de beaucoup plus évolué, au point d'avoir une discussion construite avec son majordome mécanique.

Pour concrétiser ce rêve, il a lu des tas de livres philosophiques, étudié très en profondeur les comportements humains au point qu'il prenait sans cesse sa petite amie pour un sujet d'expérience, un sujet qui l'a quitté au bout de deux ans de tests. Il a retranscrit tout ce qu'il a appris dans pas loin de trente-six millions de lignes de code, pour une vingtaine de gigaoctets de données, tout ça pour créer ce qui n'est que la base de son projet.

Ces millions de lignes, une fois exécutées, font néanmoins beaucoup plus qu'un assistant Google ou qu'un robot fraîchement sorti de chez Weston Hard Robotics, aka WHR. Ce beaucoup plus n'est que la base de ce qu'il décrit comme réellement intelligent. Son programme peut déjà apprendre en imitant l'humain, comme ferait un enfant avec ses parents. Il faut maintenant qu'il sache réfléchir et exprimer des émotions, et ça, il y travaille depuis près de sept ans.

Il est près du but, il le sent. Il est tellement proche qu'il ne pense plus qu'à ça ces derniers mois.

Il commence à taper frénétiquement sur son clavier. Il rajoute quelques blocs de code à son programme, en modifie d'autres et compile son programme.

Après environ une heures de compilation, il lance une simulation du test de Manning qu'il espère voir échouer. Cela semble contradictoire, un test d'intelligence artificielle qui échoue pour montrer le succès de son programme, mais ce test n'est pas conçu pour tester une intelligence biologique, et cela signifierait que son IA est dotée d'une véritable intelligence.

Le test est réussi. Encore.

Il change encore quelques lignes, rajoute du code et recompile son programme.

Une heure plus tard, il réussit encore le test. Ce même test qu'il a réussi des milliers, si ce n'est des millions de fois. C'est vraiment désespérant. Mais cela fait maintenant deux décennies qu'il travaille sur son projet, hors de question d'abandonner. Il rajoute encore des lignes, une condition par ci, quelques boucles par là, optimise un peu tout son code et relance le test.

Encore réussi. Modifier, retaper, recompiler, une heure d'attente, test réussi. Il recommence l'opération une dizaine de fois, avec encore le mot "SUCCESS" écrit en capitales vertes sur son écran de droite.

Allez, il est déjà cinq heure du matin, on arrête là. Neill va se coucher avec la même déception qui l'accompagne depuis six ans. Mais il savait que ce ne serait pas une chose aisée et finit par s'endormir avec ce même espoir de réussite de ces six mêmes dernières années. Bonne nuit.

Mercredi 20 janvier 2038, 18h. Même routine : on rentre du boulot, on se fait un petit casse-croûte, on allume son ordinateur et on rouvre le projet. On modifie le code et on relance le test de Manning encore une dizaine de fois au total. Test réussi dix fois. Entre temps, il a retenté le test de Manning sur lui-même pour savoir si les mises à jour ne l'auraient pas altéré, tellement qu'il lui semblait improbable que son IA passe le test la septième fois et le test s'avère pleinement fonctionnel. Six heure du matin, au dodo, avec amertume puis espoir.

Jeudi 20 janvier 2038, pareil. Vendredi 21 janvier, pareil. Samedi 22 janvier, pareil. On peut se demander comment fait-il pour ne pas douter de lui depuis tout ce temps, comment sait-il qu'il n'a pas oublié d'apprendre quelque chose... Mais quand on y réfléchit, Neill a franchi tellement d'étapes que le doute n'est plus permis et le meilleur moyen de savoir comment l'intelligence fonctionne est justement d'y réfléchir, ce qu'il fait et qu'il transpose dans son code presque instantanément.

Un mois plus tard, dans l'après-midi du samedi 20 février 2038, Neill rouvre son projet et recommence à travailler dessus. Il recompile son code pendant une énième heure et relance le test.

Pendant un bref instant son ordinateur se fige, puis il se fige à son tour.

Son programme rate le test de Manning. Le test est raté. L'IA a raté le test.

Le mot "FAIL" s'affiche en ce moment même en capitales rouges sur son écran de droite. Neill n'y croit toujours pas.

Il recompile et relance le test au moins trois ou quatre fois. Le même "FAIL" apparaît.

C'est désormais officiel : son programme est devenu réellement intelligent.

L'excitation le gagne. Puis la joie. Ou un entre-deux. Ce n'est pas possible, il a réussi après tout ce temps, toutes ces frustrations, toutes ces colères, ces joies éphémères, entrecoupées par de longs échecs qui lui ont donné envie de tout arrêter.

Son travail a fini par payer. Il a le sentiment d'avoir eu son premier enfant.

Il est temps de le baptiser maintenant. Après quelques instants perdu dans ses pensées, Neill, commençant à pleurer des larmes de joie, finit par lui trouver un nom :

Chiro. Né le samedi 20 février à 13h37.

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(*) Le bug informatique de l'an 2000 est une erreur de conception qui fit passer les dates de tous les systèmes informatiques du monde du 31 décembre 1999 au 1er janvier 1900 et non au 1er janvier 2000 comme prévu. Cette erreur de conception n'a causé aucun problème critique en soi, étant donné que des mesures ont été prises dès 1995 pour y corriger, mais elle a coûté des centaines de milliards de dollars à la société.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 10, 2019 ⏰

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