Octobre - 3

261 21 13
                                    

— Bon, et ben, quoi ? S'impatienta Callie en roulant des yeux. 

Stella leva vers elle un regard hésitant, comme si elle doutait des capacités de compréhension de son amie. Finalement, elle murmura, le ton abasourdi : 

— Je viens d'apprendre que j'avais un père. 

— Mais je croyais qu'il était...

— J'avais un père jusqu'à avant-hier, coupa Stella avec une âpreté qui ne lui ressemblait guère. Il est décédé dans la nuit de vendredi à samedi. 

— Quoi ? Mais comment ça ? Ton père a été enterré peu après ta naissance, tu me l'as toujours dit. 

D'un geste vif, Stella saisit le briquet fluo que son amie planquait dans sa trousse de stylo et brûla la lettre entre ses doigts. Callie leva les yeux au ciel d'un air d'incompréhension légèrement agacé.

—  Je peux savoir ce que tu es en train de faire ? 

— Ma grand-mère m'a demandé d'éliminer toute trace de notre correspondance. 

— Ta grand-mère...? C'est ta grand-mère qui t'écrit ? Cherche pas, Louloute, elle a dû s'enfuir de la maison de retraite et inventer tout ce joli tas de conneries dans un instant de délire sénile. 

— Mmmh... Je sais pas. Elle prétend que la mort de mon père, il y a seize ans, était une espèce de conspiration pour nous protéger ma mère et moi. 

De nouveau, Callie laissa transparaître son scepticisme par un haussement de sourcil plutôt phénoménal. 

— Et tu y croies ? Elle est cinglée, c'est tout. Qu'est-ce qu'elle dit d'autre ? Ne put s'empêcher de demander la jeune fille, malgré tout. 

— Qu'un homme va venir m'interroger sous peu, avoua Stella d'une voix tremblotante. Il faut que j'ai l'air sincèrement surprise de sa venue. 

— Alors pourquoi te prévient-elle ? Tu aurais joué les parfaites innocentes si elle ne t'en avait pas informée ! 

— Je... je dois prétendre avoir déjà possédé des animaux de compagnie. Elle me demande de prendre quelques photos de chiens, chats, rongeurs, poneys, et de m'inventer des récits à la fois crédibles et touchants à propos d'animaux décédés à ce jour...

Callie conclut le tout par un éclat de rire ouvertement moqueur tandis que les dernières cendres de la lettre se déposaient sur la table en bois. Stella les souffla au loin, non sans une pointe de trouble à l'égard des écrits de sa grand-mère. Puis elle décida de classer tout ceci parmi les affaires sans suite, au même titre qu'un sms anonyme - et plutôt versé dans l'insulte facile - qu'elle avait reçu la semaine précédente. 

                                                                       ***

             Le lendemain, Callie mit son plan à exécution au grand désespoir de Stella. Elle repéra Emilio Mendoza durant la pause de 10 heures et demi, nonchalamment adossé au mur d'enceinte du Lycée, et s'élança dans sa direction sans même prévenir Stella. La jeune O'Farrel demeura clouée sur place et observa son amie traverser la cour d'un pas dégoulinant d'assurance, tout en se demandant si elle désirait assister à la trahison plutôt de près ou de loin.  Elle opta finalement pour l'option rapprochée et rejoignit le petit groupe, son cœur battant la chamade dans sa poitrine. 

— Je crois que j'ai trouvé quelque chose qui t'appartient, annonçait déjà Callie au jeune Mendoza, lequel la dévisageait avec curiosité. 

Stella demeura légèrement en retrait, de peur que quelqu'un ne lui adresse la parole. Emilio était entouré de ses deux meilleurs amis : le tapageur confirmé Zacharie Rousseau, dont la chevelure flamboyait d'un orange pétaradant au milieu d'une cour terne en comparaison ; ainsi que le discret Kieran Cobbs, qui semblait étrangement invisible auprès des deux autres. 

Les trois garçons observèrent Callie farfouiller son sac de cours, échangeant des regards surpris et amusés entre eux, jusqu'à ce qu'elle brandisse subitement le fameux briquet fluorescent devant leur nez. 

— On m'a dit que c'était le tien, minauda-t-elle en fixant Emilio droit dans les yeux. 

Stella réprima à grand peine un grognement étouffé. Ce regard-là, elle le connaissait : c'était celui avec lequel Callie parvenait - Dieu sait comment - à entortiller tous les représentants du sexe opposé. Et elle ne battait même pas des cils ! 

— Je ne fume pas, protesta Emilio à la grande joie de Stella. 

Si seulement son amie pouvait échouer, rien qu'une fois. C'était mal, de penser ainsi, mais au moins Stella aurait peut-être sa chance... Malheureusement, elle remarqua le regard du jeune Mendoza détailler Callie d'un air appréciateur, avant qu'il n'ajoute : 

— Mais je devrais peut-être m'y mettre. À fumer... 

Callie était en plein roucoulement lorsque Zacharie Rousseau lui arracha vivement le briquet des mains, l'observa sous toutes les coutures puis le porta à ses narines en reniflant un bon coup. Sous le regard médusé du reste du groupe, naturellement. 

— Hum, finit-il par déclarer d'un ton trop sentencieux pour être tout à fait sérieux. Vous mentez, jeune demoiselle, cet objet est la propriété de l'état. En ma qualité de représentant, permettez-moi de conserver ceci à titre de compensation. 

Et il fourra le briquet dans sa poche, puis s'éloigna d'un pas guilleret en lançant : 

— Ça vous apprendra à mentir pour vous faire inviter aux soirées. 

Callie, la main toujours inutilement suspendue sous le nez d'Emilio, échangea un regard incrédule avec Stella. Cette dernière décida d'intervenir. Sans trop savoir si elle tentait de défendre ou d'enfoncer son amie d'enfance, elle avança d'un pas en demandant : 

— C'était si flagrant que ça ? 

Le rire des deux garçons tinta de façon merveilleuse à ses oreilles. Elle apprécia également la petite moue contrariée qui traversa fugitivement le visage de Callie ; pour une fois, elle était parvenue à la devancer. Sa joie fut malgré tout de courte durée car lorsque Emilio reprit la parole, c'était Callie qu'il regardait : 

— Alors comme ça, tu fais partie des désespérées qui seraient prêtes à tout pour recevoir une invitation ? 

Stella savoura finalement cet instant comme celui où la super-belle-et-super-bien-roulée Callie Daucourt venait de se faire rabattre le caquet par Emilio-fantasme-sur-pattes. Puis elle vit avec horreur le regard de sa prétendue amie se tourner vers elle, une étincelle de ruse logée au fond des prunelles. 

— Moi ? Fit Callie en jouant les étonnées à la perfection. Non, tu n'y es pas du tout. C'est Stella la désespérée : moi je ne fais que lui donner un coup de main puisqu'elle n'ose pas t'aborder. 

Stella jura intérieurement qu'un jour, tôt ou tard -plutôt tôt que tard, à la réflexion - elle étriperait Callie à mains nues, avant de distribuer ses entrailles aux cochons et de faire rôtir le reste sur une broche à kebab. 


Pas touche à mon F.A.U.V.EOù les histoires vivent. Découvrez maintenant