En route vers Europe

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Les étoiles dansent dans un ballet lent et harmonieux. À travers mon gros hublot, elles sont lointaines, silencieuses et propices au recueillement. Mais comme des petites fées capricieuses, elles jouent à disparaître dans le vide de l'espace. Elles entourent le vaisseau de marchandise, imperturbable. Ce dernier, où je me morfonds, traverse le système solaire en direction de la planète géante gazeuse Jupiter, depuis plusieurs jours déjà.

Dans la solitude de ma cabine, au confort somme toute minimaliste et grisâtre, ce spectacle accentue la mélancolie qui m'habite, depuis ma rupture. Mon seul désir de partir loin, très loin de lui, pour ne pas sombrer dans la tristesse, se réalise enfin. Mais pas vraiment comme on peut l'imaginer ! Je sers contre moi très fort mon stradivarius, pour oublier cette pensée douloureuse.

Plus que jamais, la musique est mon refuge, mon instrument, le seul qui me comprenne. Qui fait de moi la talentueuse artiste en devenir, depuis mon entrée au Conservatoire de Paris ! Car je me sens seule, seule avec ma ma mère, qui va travailler sur cette foutue base, située sur l'un des satellites de Jupiter ; pour le compte d'une grosse société gazière. Du coup, je mets en parenthèse ma vie en ce moment, moi qui souhaite tant la reconstruire ! Ces pensées vagabondes me perturbent trop, je dois fuir encore. J'active ma puce neuronale connectée pour enregistrer mes pensées, joue des notes dans ma tête et manipule mes cheveux roux pour oublier ma mélancolie, dans un réflexe manichéen. Cependant, quelqu'un frappe au sas de ma modeste cabine, un peu vieilli par la rouille qui attaque les angles.

— S'il vous plaît ! On va bientôt traverser le champ d'astéroïde entre Mars et Jupiter. Ça risque de secouer un peu. Je vous conseils de rejoindre le reste de l'équipage sur le pont des passagers !

— Un instant, j'arrive !

Je presse le pas jusqu'à l'entrée avec mon violon contre moi. J'ouvre et tombe nez à nez avec une femme plutôt jolie, coupe garçonne, brune, mais bien plus avantagée par la nature avec une belle poitrine que j'envie au premier regard.

— Un problème, mademoiselle ?

— Oh, non ! Euh, c'est par où la passerelle des passagers ?

— Pas très loin, juste à deux pas ! Ce n'est qu'un vaisseau de marchandise, ici. Rien à voir avec un croiseur ou un de ces autres vaisseaux de luxe.

— Ça doit être fun quand même, de voyager dans l'espace tout le temps, non ?

C'est du moins ce que je pense, pas vrai ?

— Faut aimer la solitude, mais bon ! Désolé de vous presser, je dois vite m'éclipser pour rejoindre mon stupide co-pilote droïde. Il faut y aller, maintenant !

— Oui pardon !

Dans la foulée, je sors de ma cabine et sert fort contre moi mon seul ami. En chemin, j'arpente une coursive exiguë, aussi gris et rouillée que ne l'est ma cabine, traversée par de nombreuses tuyauteries. Je marche à côté d'elle et les bruits de nos pas résonnent sur un sol composé de caillebotis grillagés en acier, ce qui donne un tempo semblable à un battement de mesure en deux temps. Je remarque en outre qu'elle semble intriguée par mon instrument. À moins qu'elle tente de fixer ma petite poitrine, cachée sous ma robe à fleur jaune. Je rougis, détail qui ne lui échappe pas au vue de son expression amusée.

— Qu'est-ce comme marque de violon ?

— Un stradivarius, madame ! On me l'a offert pour mon entrée au Conservatoire !

Une belle excuse pour, tout en politesse, masquer mon complexe.

— Madame ? J'ai l'air d'une vieille bique de l'espace ? Appelle-moi Axelle ! Enchantée ! On peut se tutoyer si cela ne te dérange pas ? Moi je préfère !

Sonate funeste sur EuropeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant