Chapitre 8

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Lucien se réveilla au son du cor, alors que le soleil ne s'était pas encore levé. Il avait passé la nuit recroquevillé dans son lit, régulièrement saisi de tremblements, le sommeil venant par rares moments. En effet, quand ce n'étaient les draps qui effleuraient son dos meurtri, le moindre mouvement de jambes lui rappelait le corps étranger qui le pénétrait toujours et dont il ne pourrait se défaire que lorsque la duchesse de Polignac l'en libérerait. Les rêves l'avaient poursuivi, érotiques pour la plupart, ne lui laissant pas un instant de répit. Ce n'était ainsi pas tant son corps que la reine et son amie avaient marqué la veille, mais bel et bien son esprit, et il se révélait incapable d'oublier, de songer à autre chose. Ses pensées lui avaient été dérobées, ses fantasmes détournés.

Ce n'était pas son sexe qui avait été pénétré, mais son esprit, et cela l'horrifiait.

Il se leva douloureusement, encore nu. Sur le sol de la chambre, la malle dans laquelle il avait été transporté se trouvait toujours, ouverte. Son uniforme reposait sur une chaise, certainement déposé par une servante. Même dans ses appartements, il n'était pas à l'abri et la reine pouvait le toucher.

Il passa dans la salle de bain, où un vieux miroir lui montra l'étendu des dégâts. Il avait déjà subi pire traitement par le passé, de mains bien plus cruelles que celles de la reine, mais jamais il n'avait dû enfiler l'uniforme et faire son devoir juste après. Au-moins il ne saignait plus. La ceinture de métal, quant à elle, le serrait toujours autant et il ne voyait pas comment il pourrait l'enlever sans clef.

Il devrait survivre à cette journée, non seulement avec ses blessures, mais aussi avec le constant stimulus entre ses cuisses. Pourquoi avait-il contredit la reine sur un point aussi futile que son nom ? Elle aimait la liberté retrouvée que lui offrait une place d'homme à la cour, et le mensonge était devenu presque aussi vrai que l'être en-dessous, mais la souveraine avait raison : Lucien dépendait de son bon vouloir et la prison n'avait pas disparu. Il vivait juste dans une cage dorée, qui valait mille couvents. Peut-être était-ce le message que voulait lui faire passer la reine, en lui posant cette ceinture de chasteté ?

Le lieutenant ne pouvait se permettre de perdre son temps. Il passa autour de sa poitrine les bandes de tissu qui dissimulerait tout apparence féminine, ce qui s'avéra être un calvaire, avec ses plaies. Il parvint néanmoins à camoufler ses seins et put revêtir chemise et veste, dissimulant aux yeux du monde ses infortunes de la veille. La reine lui avait épargné toute trace au visage, heureusement.

Il changea le pansement à sa cuisse, qui lui paraissait bien moins douloureux maintenant, en comparaison de ses autres souffrances, et enfila culotte et bottes. Une fois sa perruque et son chapeau sur la tête, il ressemblait à n'importe quel officier des Garde-du-corps. Sa stature retrouvée lui paraissait pourtant factice et fragile.

Il essaya de se tenir droit, en oubliant l'étoffe qui frottait sur ses blessures fraiches et espérant que celles-ci ne se rouvrissent pas. Mieux valait limiter les efforts.

Il prit son pistolet et son sabre et sortit sur le palier, aussitôt assailli par le bruit des cuisines et l'odeur appétissante des fours à pain, qui fonctionnaient depuis au moins une heure déjà. Le lieutenant rejoignit la salle à manger des officiers, où il salua les plus gradés déjà levés, avant de s'installer à table, entre un capitaine de la marine et un autre membre de la Compagnie écossaise. Enjamber le banc n'avait jamais été aussi gênant.

Il posa le sabre contre la table, et le tricorne devant lui.

— Lieutenant de Tournelles, lui dit son compagnon d'armes.

— Lieutenant du Lac, répondit Lucien.

— Vous avez l'air bien las, si je puis me permettre. J'espère que le capitaine ne vous malmène pas de trop.

— Non, bien sûr.

Un serviteur plaça devant lui un quartier de veaux et des petits légumes, accompagnés par un potage et du thé. Les officiers mangeaient fort bien dans le Grand-Commun, vivant juste au-dessus des cuisines royales. Il s'agissait souvent de restes du repas du roi et de la cour, réarrangés au petit matin par les marmitons, mais rares étaient ceux qui osaient s'en plaindre.

— Comment se porte votre femme ? demanda innocent Lucien à du Lac, bien conscient de la réputation sulfureuse de celle-ci.

— Très bien, merci de vous en soucier.

— C'est la moindre des choses. Après tout, nous vivons six mois de l'année loin de nos terres, ce n'est pas une situation facile pour une épouse.

— Certes, certes...

L'interlocuteur de Lucien sembla particulièrement heureux lorsqu'un Garde suisse s'installa en face de lui et ouvrit la discussion, fuyant celle sur sa femme adultère. Le capitaine, de l'autre côté, de Lucien parlait avec l'un de ses officiers. Du peu qu'il en entendit, le gradé avait reçu des ordres pour partir vers Toulon prochainement. Le protégé de la reine ne demanda pas pourquoi et se contenta de déjeuner, se concentrant sur autre chose que les séquelles de la veille.

Le repas terminé, Lucien se leva et redécouvrit les affres de cet olisbo, qui se rappelait à lui à chaque mouvement. Cette sensation devenait de plus en plus insupportable et il n'avait qu'un souhait, s'en débarrasser au plus vite. Hélas, il doutait que s'il approchait la duchesse ce matin, elle estimât que ce fût suffisant. Pour elle, le jeu venait à peine de commencer et elle pourrait le continuer aussi longtemps que souhaité, sans le moindre désagrément. On ne pouvait pas en dire autant de Lucien.

Comme les autres Garde-du-corps de garde, Lucien se rendit au château, vers les appartements du roi, en faisant de son mieux pour paraître en forme. Heureusement, personne ne lui fit de remarque.

Il pritson poste et entra pour le lever du roi et sa prière matinale, en faisant deson mieux pour ne pas penser à l'épouse du monarque, qui la veille avait eu desrelations avec lui. Rien de tout cela ne semblait atteindre le souverain, quin'imaginait vraisemblablement pas qu'il portait les cornes du cocu. Si celas'apprenait un jour, Lucien ne donnait pas cher de sa peau.    

Les infortunes de Lucien - (extraits du roman édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant