Chapitre 3

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Le capitaine, assis sur son siège et les mains sur le bureau, regardait Lucien avec un mépris non dissimulé. Le visage carré, marqué par ses campagnes aux Amériques, il ressemblait à un buffle engoncé dans l'uniforme. Ni la soie ni sa perruque ne lui enlevaient cette apparence de barbare, qui ne manquait pas de semer la frayeur parmi ses hommes.

— Laissez-moi récapituler, Lieutenant : deux de vos hommes ont été blessés ?

— Oui, mon Capitaine. Les hommes du comte étaient plus nombreux.

— Je ne veux pas de vos excuses. Cette mission devait être réglée dans la plus grande discrétion et vous avez fait un bain de sang. Ne pensez-vous donc jamais avant d'agir ?

Lucien se retint de serrer le poing, ne souhaitant pas donner à son supérieur davantage de raisons de s'énerver. Il savait qu'il n'était pas en tort : on lui avait donné de simples gens d'armes pour cette attaque, et les informations s'étaient révélées fausses. S'il n'avait pas lui-même été bon bretteur, il serait certainement mort à cette heure. Peut-être était-ce d'ailleurs le but de la manœuvre ? L'envoyer dans un guet-apens en espérant qu'il ne revînt pas ?

Il ne pouvait hélas rien dire pour sa défense : chacun de ses propos n'aurait pas manqué d'être réutilisé contre lui. Non, il devait se taire et attendre que la fureur du capitaine passe, en espérant qu'il ne l'envoyât pas vers un autre péril, plus grand encore. Fort heureusement, il s'agissait du seul ressort dont disposait le capitaine. L'office qu'occupait Lucien provenait directement de la reine et le capitaine ne pouvait que l'accepter.

— Ce qui est fait est fait, finit-il par dire. Faites attention, la prochaine fois. Je ne pourrai pas toujours couvrir vos approximations.

Lucien sourit, pour ne pas montrer la rage qui menaçait d'éclater en lui. Pourfendre son capitaine n'était pas une excellente idée, malheureusement.

— Merci pour votre compréhension, mon Capitaine. Il y avait autre chose ?

— Comment se porte votre sœur, Lieutenant ?

La question crispa aussitôt Lucien. Pourquoi le capitaine lui posait-il soudainement la question ? Ou plutôt, que voulait-il savoir, ce faisant ?

— Toujours alitée, malheureusement, mentit-il.

— Quel dommage. Est-elle en condition pour recevoir malgré tout ?

— Sauf mon respect, je ne suis pas certain de voir en quoi cela vous concerne, mon capitaine.

— Au contraire, lieutenant. J'ai eu vent que des espions anglais avaient rejoint la cour et tentaient d'approcher sa Majesté. Quel meilleur moyen que ses propres garde-du-corps, ou leurs familles ?

— Vous ne pouvez pas être sérieux.

— Êtes-vous un espion, lieutenant ? Faites attention à vos mots. Réfléchissez-y longuement, avant de vous exprimer.

— Non, capitaine. Et je vous prierais de ne pas insulter mon nom, que ce soit par ma personne ou celle de ma sœur. Aucun de Tournelles n'a jamais eu de lien avec la Couronne d'Angleterre, si ce n'est sur le champ de gloire.

Le capitaine scruta Lucien du regard pendant un long moment et, l'espace de quelques pensées, le bretteur eut peur de finir à la Bastille. Il semblait toutefois que l'homme ne disposât d'aucune preuve, ni de lettre de cachet. Il se contenta de dire :

— Sachez que je vous ai à l'œil, lieutenant. Vous avez suffisamment abusé de ma soirée. Rompez !

Lucien salua son officier et prit congé, soulagé de sortir de l'appartement. Il se dirigea alors vers le Grand Commun, à l'extérieur du château, où logeaient les officiers, ainsi que certains courtisans.

Les infortunes de Lucien - (extraits du roman édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant