10. Kraïev - 1

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Ma conscience vient de l'intérieur de moi.

Le sens de mon chemin vient de l'extérieur de moi.

Toujours je suis en peine, jamais le trouble ne cesse.

Quelque chose veut que je m'arrête, quelque chose veut que je progresse.

Je marche sur le cycle qui me ramènera au lieu de mon départ.


136 AFS

Ce n'était pas son premier voyage. Certes, il n'était pas d'usage qu'une jeune fille de bonne famille parte seule pour des expéditions lointaines. Mais sur son parcours, personne ne savait qu'elle était de la famille Partel. Et elle empruntait rarement des routes.

Jusqu'à présent, le chemin d'Almira avait été un cycle.

La destination n'importait donc pas plus que le mouvement.

Elle marcherait à pied, des mois durant, jusqu'à retrouver la connaissance qui lui manquait. Les Balises, relais radio disposés par Vigilance dans tous les villages placés sous sa protection, ne lui seraient d'aucune utilité : dans un monde imprégné de la marque des scients, elle ne pouvait pas se perdre. Aussi n'avait-elle pas allumé son transpondeur.

En porter un était obligatoire et salutaire, mais le signal aurait indiqué sa position à Vigilance. Elle aurait senti sur elle l'œil scrutateur des drones, par-delà les frondaisons qu'ils survolaient régulièrement.

Pour elle, et jusqu'à présent dans son existence, Vigilance était un plus grand danger que tous ceux que contenait le monde des scients. L'organisation qui se targuait d'offrir aux almains une protection omnisciente, presque magique et divine, pesait sur Mondor comme une malformation et déséquilibrait les quadrants.

Elle jeta son bâton de marche devant elle pour se faufiler sous l'énorme racine de saule. Ses bottes arrachèrent au sol un peu de mousse verdâtre. Elle ressortit sur un à-pic rocheux qui donnait vue sur plusieurs kilomètres de forêt.

Ici, les saules étaient rares. La plupart des arbres étaient des non-scients d'espèces endémiques ou hybridées avec du matériel génétique du système Sol ; dans tous les cas plus anciennes. Quant aux fauves scients, ils avaient été décimés avec leur gibier naturel par des chasses entre 30 et 50 AFS. Seules quelques meutes de non-scients s'étaient réinstallées depuis.

Almira accrocha son bras à une branche pour s'assurer de ne pas glisser et resta quelques minutes en observation.

La ligne du train passait juste devant elle. Sur cette section, les ingénieurs havènes avaient décidé de lui faire surplomber la canopée sur des piliers de pierre approximatifs. Le lierre qui tentait d'y remonter était sans cesse brûlé à la racine par les lance-flammes des vigilants. Mais les plantes n'étaient pas scientes et ne se lasseraient jamais de cet assaut vain.

Almira tourna sa tête vers la droite et aperçut les reflets de la prairie. La forêt s'éclaircissait et laissait place à des terres dégagées, autrefois cultivées. La population se regroupant vers le Nord-Ouest, vers Haven, les herbes folles avaient repris le dessus, puis les troupeaux de ruminants sauvages. Et bientôt, sans doute, une nouvelle forêt. Les saules seraient toujours les premiers à s'installer.

Elle retourna sur ses pas, vers le chemin invisible qu'elle suivait entre les arbres intriqués.


***


Sur le chemin qui sortait de la forêt et menait au village, les herbes avaient mangé la terre battue et la terre absorbait les graviers. Des clôtures des champs à l'abandon ne restaient plus que quelques planches de bois dévorées par les champignons. Elles surgissaient de la terre comme les vestiges de vaisseaux fantômes, avec leurs écheveaux de fils de fer rouillés.

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