Les cheveux de la morte

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NDA : Cet OS était et est dédié à Otomatique. / Date : Juin 2015

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Il est de ces légendes qu'on ne raconte plus, que l'on connaît tous et que l'on a revu, sans doute.

Des histoires et contes à dormir debout, des histoires d'amour et de détresse, de passions, d'aventures et d'oubli. Histoires, toutes plus sensibles, plus belles et plus douces que les unes que les autres, fruits de rêves, de fantasmes, d'idéaux précieux comme une boule de verre, soufflés de récits qu'on ne veut pas briser.

Mais il est des histoires aussi, dont on ne parle pas, car leur fin diffère, et qui ne plaisent pas. On les cache sous les lattes des lits qui grincent, ces nouvelles où se cache le monstre obscur qui gratte le parquet sous le lit, et où se révèlent les secrets inexploités de la conscience humaine.

Ce sont de ces histoires-ci qu'il est intéressant de parler, car on ne les voit pas. Elles sont noires, enfouies, cachées, brûlées, pareilles aux tableaux honteux recouverts d'un voile, montrant chez les bourgeoises d'antan les beaux hommes dénudés, les yeux noirs de désir et les bras enroulés dans la soie. De ces récit ténébreux je me dois de vous instruire, alors pardonnez-moi.

Le fait qui orne ce papier ce soir, je l'ai vu de mes yeux, et plus jamais, lecteurs, je ne souhaite le revoir. C'est trop de peine, trop de beauté et trop d'effroi, mais je ne peux me taire, car l'âme ne doit plus cacher ces choses-là. Mes épaules vieillies tremblent sous un châle de peur, et je pleure tandis que ma vie s'échappe doucement de ma bouche, la fumée blanche de mon esprit s'évaporant dans ce minuscule cabinet aux fenêtres claires et au plafond croisé. Il est temps de mourir pour moi à présent, et je refuse encore de laisser ma plume glisser sur le buvard, tachée de l'encre de ma vérité.

Je dois écrire, il le faut, avant de tomber dans l'amertume folle de la sénilité.

Je me le suis promis, et je le ferais.

C'était à l'aube de mes belles années, là où la peau est fraîche et l'œil humide, à l'heure fatidique où l'innocence quitte la conscience au profit des envies. Je m'étais mis élégamment, cette nuit-là, dans l'espoir de rencontrer une créature qui eut pu ravir mon cœur aussi froid que la glace. J'étais hautain, prétentieux et sombre, le genre d'homme à l'intellect gonflé d'une humilité feinte, la paupière violacée, le cil courbé et l'œil aigue-marine, quelques mèches couleur de lune barrant ce front trop pâle qui me dessinait le crâne dans une courbe gracieuse, et que beaucoup m'enviaient. Méprisant les soirées mondaines d'apparences, j'arpentais en réalité les sentiers proches et les rues alentour, espérant naïvement l'apparition d'une femme de mon esprit qui, elle, se serait égarée.

Les mains dans les poches de mon immense manteau aux reflets de poussière, j'ajustais donc ma pelisse au-dessus de mon nez et arpentait les longs couloirs de pierres, ignorant les lumineux manoirs çà et là. Le vent sifflait et la rue se parait du brouillard filandreux de l'hiver, les réverbères ne revoyant que les ombres étirées des passants dans la lumière jaunâtre. Quelques rires parvenaient à mes tympans mais je les balayais d'un revers de la main, négligeant ces sons trop aigus et trop clairs.

Mon âme était en cette soirée fort mélancolique, et je ne portais pas attention à mes pas, attendant vainement l'écho d'une voix suave et grave comme il y en avait peu à l'époque : la mode était aux femmes poudrées dont les yeux sombres n'avaient de profond que la couleur, et dont les voix chantantes irritaient facilement l'oreille. Leurs visages figés affichaient tous ce même air perpétuellement froissé, comme si la volonté de ressembler à une biche blessée sut être une qualité appréciée des jeunes gens. J'en serrais les poings de rage, dégoûté de cette niaiserie que j'affichais moi-même lors de mes rêveries nocturnes. Après tout, qui aurait voulu d'un homme aux cheveux blancs avant l'heure, au teint cireux et aux lèvres sèches, éternellement taiseux et raide ? Je me savais non conforme aux normes sociales actuelles et, loin d'en être rebuté, cultivais cette fausse rébellion avec soin. Pourtant, souvent je regardais mes mains avec peine, espérant malgré moi croiser la route d'une belle hypocrite profonde, aussi fragile et tordue que moi.

Kingdom Hearts - DAYS (recueil de textes)Where stories live. Discover now