— Je commence à l'envisager.

Mon père a secoué la tête.

— Je comprends que ce que tu traverses est difficile. Tu es à un tournant important de ta vie, c'est normal. Et tu sembles en avoir beaucoup sur le coeur.

— Papa, tout le monde compte sur moi.

— Vois-le du bon côté : tu es quelqu'un de fiable.

— Oh, je t'en prie. Ce n'est pas le moment.

Il s'est pris le visage entre les mains.

— Je veux juste que tu comprennes que c'est une mauvaise passe. Tout finira par bien aller.

— Oui, bien sûr, ai-je grommelé. Sacha ne sera plus malade, j'aurai toujours mes potes à mes côtés et je ne vous décevrai pas en n'allant pas à l'université.

— Dans un monde idéal, oui.

— Mais nous ne vivons pas dans ce type de monde.

— Tu as raison.

Mon père s'est extirpé de sa chaise et s'est avancé dans ma direction.

— Tu sais, Logan, il y a moyen de faire de ce monde le meilleur du possible. Non, tu ne guériras pas Sacha. Ça, c'est certain. Certaines choses sont faites pour arriver, tu ne crois pas ?

Il m'a regardé.

— Mais tu peux parler à tes amis, parler à ta mère, à moi et surtout, tu peux commencer à penser avant tout à toi. Tu te souviens de ce que tu m'as demandé au sujet de trop aimer ?

J'ai acquiescé.

— Eh bien, oui c'est possible. Est-ce dangereux ? Oui, surtout si on se rend malade à aimer trop les autres. Mais si tu trouves le juste équilibre entre t'aimer toi et tout ceux à qui tu tiens... Alors là, tu peux accomplir de grandes choses.

— Tu aurais du devenir psy, papa. Pas assureur.

— Je sais, parfois je regrette mon choix.

Mon père m'a transpercé l'âme de son regard.

— On ne sera jamais déçu de toi, Logan. D'accord ?

— Même si je ne vais pas à l'université ?

— Même si.

— Même si je deviens photographe ?

— Peu importe ce que tu deviens. Ta mère et moi on s'en fiche que tu deviennes prostitué ou médecin, tu le comprends ça ? On veut juste que tu t'épanouisses.

— Prostitué ? T'es sérieux là ?

Il a souri.

— C'est un métier comme les autres. Et puis, c'est le seul exemple qui me soit venu à l'esprit.

J'ai ri. Mon père m'a pressé l'épaule de sa main robuste.

— Ne sois plus malheureux, je t'en prie.

Et il n'a plus rien dit. Il a quitté ma chambre quelques secondes plus tard avec cette même démarche déterminée que je lui connaissais si bien. Une demi-heure plus tard, j'ai entendu la porte d'entrée de la maison se refermer et la voiture démarrer. Mon père était parti au travail. En retard, grâce à moi.

Mais ça avait valu la peine, car je me sentais beaucoup plus léger dorénavant.



J'ai dormi tout l'avant-midi, en me réveillant fréquemment lorsque la sonnerie de mon téléphone portable embarquait. Je ne faisais qu'ouvrir les yeux et m'étirer le bras pour refuser l'appel. Je n'avais pas besoin de vérifier de qui il s'agissait. C'était Sacha, bien entendu. Sacha qui, malgré ce qu'on mon père lui avait promis, appelait à toutes les heures. J'ai fini par être contrarié de ces appels incessants qui entrecoupaient mon sommeil. J'ai donc éteint mon téléphone. Je n'ai plus été dérangé par Sacha dans les heures qui ont suivi.

La théorie des cactusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant