Rendez-vous pris

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Pourquoi l'île d'Ouessant ? Ni l'un ni l'autre ne le savaient mais lorsqu'on a quinze ans certains endroits vous paraissent magnifiques, lointains, propices à l'évasion. Et c'est ainsi qu'une promesse, suivie d'un fou-rire se fait sur les bancs d'un lycée comme une parole en l'air. Un souvenir qui a été oublié et puis soudain un jour comme un autre, une vague réminiscence, suivie d'un coup d'oeil alarmé au calendrier, d'une recherche d'un avion, d'une réservation de dernière minute et d'une impression de ne pas très bien maîtriser son comportement. À des kilomètres d'écart, un scénario semblable, un souvenir tenace mais pas très clair, et soudain tout devient limpide. Des billets de train achetés et des bagages fait à la vas-vite et voilà dans un avion Leopoldine Coincy et dans un train Gaspard Veillard. Ensemble sur les bancs du lycée, ils se sont jurés de se retrouver vingt-cinq ans plus tard, le onze novembre à 11 h devant le phare d'Ouessant. Quoi de plus facile à oublier qu'une simple promesse ? Mais visiblement la Providence s'était débrouillée pour que ni l'un ni l'autre n'enfouisse trop profondément ce souvenir.

Installée près d'un hublot, Léopoldine s'interroge : et si Gaspard avait oublié ? S'il ne venait pas ? Oh et puis ce ne serait pas grave, j'avais un besoin impérieux de vacances de toutes les manières !  L'arrivé à Paris Charles de Gaules, le train jusqu'à Brest puis le ferry pour Ouessant se font dans un calme bonheur d'une plénitude, d'un devoir accompli. Mais au moment de la réservation d'un petit hôtel, Léopoldine femme si décisive, si sûre d'elle doute, à l'impression d'avoir quinze ans et se sent ridicule. Pourrait-il en être autrement ? Honorer une promesse d'il y a vingt-cinq ans est une idée des plus saugrenues qui aurait plût aux poètes et écrivains romantiques d'il y a deux siècles... Mais Léopoldine ne sait pas que Gaspard a les mêmes incertitudes.

Et puis l'heure fatidique arrive ! Léopoldine en femme organisée est là dix minutes en avance et Gaspard en bon militaire approche du phare pile à l'heure. Se reconnaissant ils se font face, jaugent du regard les années écoulées depuis leur dernière rencontre et enfin cette haute vertu qu'est le courage aide Gaspard à prendre la parole :

« - Léo, je ne penserais pas que tu viendrais, que tu te souviendrais de notre promesse.

- Dois-je t'avouer que je l'avais oublié jusqu'à il y a trois jours ? »

Un rire franc fuse de chaque côté, suivi d'une invitation à déjeuner.

« - Que fais-tu désormais dans la vie ? interroge Gaspard

- Eh bien je travaille à l'ambassade de France à Moscou. Et toi, es-tu devenu militaire comme tu en rêvais ?

- Et oui, tu as devant toi le tout neuf Colonel Veillard ! Sinon, tu as des enfants, un mari ? Je vois ton alliance. »

Une ombre passe dans le regard de Léopoldine et l'aveu se fait tout doucement :

« - Je me suis mariée à vingt-trois ans et je suis veuve depuis plus de quinze ans. »

Sont débités les formules typiques de condoléances mais le vrai réconfort se trouve dans les prunelles de Gaspard. La conversation reprend, rebondie sur les rappels des souvenirs d'adolescents, es nouvelles des anciens amis, des familles et l'affirmation de Gaspard, convaincu d'être immariable. Puis vient le moment de la séparation, qui se fait avec la promesse de ne pas attendre vingt-cinq ans pour se revoir ! Et un espoir encore lointain et fugace pour le moment de ne peut-être plus être un humain solitaire pour longtemps...

                                                                                      FIN

Rendez-vous pris (nouvelle)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant