Vous montez ? Au 7ème

1. L'appel des baleines

Déjà six mois ! Six longs mois à enchainer les petits boulots de serveuse, sushi girl, et même vendeuse de barbe à papa avant de recevoir  enfin cet appel tant attendu. Celui pour lequel je suis partie de la capitale pour venir me dorer la pilule au soleil. Celui pour lequel je serais prête à tout. Enfin tout… J’ai mes limites.

Bah oui, je passe pas sous le bureau moi !

Celui qui me fait rêver depuis gamine. L’objet de mes fantasmes.

Faute de mec, on fait comme on peut. 

Le Casino Victoria. J’ai toujours rêvé depuis toute petite, de venir travailler dans cet établissement. Ne me demandez pas pourquoi celui-ci, je n’en sais rien. Mais pour ce qui est du Casino, ça je le sais !

C’est clair que c’est rare qu’une gamine de dix piges vous sortes qu’elle souhaite devenir croupière, mais ne vous méprenez pas, j’ai des ambitions un peu plus hautes, et mon rêve est de devenir directrice clientèle.

D’où me vient ce rêve ?

Tout bêtement de la série Las Vegas. Bah oui, même à dix ans on sait reconnaître les purs beaux gosses. Et je suis littéralement tombée amoureuse de Danny McCoy, agent de sécurité au Montecito. Et je compare bien souvent mon caractère explosif à celui de Samantha Marquez, la chercheuse de baleines. Par baleines j’entends par là, les vieux-beaux pétés de thunes qui dépensent sans compter. Bien sûr, il y a aussi les baleines en mode Moby Dick, mais ça, ce n’est pas le sujet. Ne nous égarons pas.

Donc je disais,  l’argent, c’est ce qui fait tourner le monde, et de l’argent, bah j'en ai plus ! Les amis, je suis à sec ! J’ai vite dépensé tout l’argent économisé en quelques semaines. La vie dans le Sud est aussi chère qu’à Paris. C’est pour ça que cet entretien  tant espéré arrive à point !

J’enfile ma plus belle tenue, escarpins noir vernis Jimmy Choo, tailleur noir et chemise blanche. Un look strict, assez classe, qui ira parfaitement pour le poste.

L’annonce indiquait :

《 Le CASINO Victoria de Grasse (06) recrute un DIRECTEUR – une DIRECTRICE RESPONSABLE confirmé(e) ou débutant(e), dynamique, disponible 》

Oui disponible, ça je le suis . Ma vie sociale et sentimentale est aussi vide que mon réfrigérateur !

《 doté(e) d’un sens du service  et de l’animation développé, organisé(e), prévoyant(e) et gestionnaire, 》

Je saurai me montrer au service de chacun. Je suis une personne organisée. Faut-il que personne ne vienne dans mon appartement vérifier ce que je dis. Clairement, on dirait qu’une guerre civile a éclaté dans mon salon. C'est juste atroce !

《 ayant un esprit rigoureux et une communication aisée.
Vous maîtrisez la réglementation des jeux et les fondements du droit social et saurez vous impliquer et réagir au quotidien grâce à votre capacité d’analyse et d’adaptation et votre sens des responsabilités et du management. 》

Je pense que je m’adapte plutôt pas mal si on considère que je suis partie de ma ville natale pour venir emménager à plus de 630 kilomètres, et cela sans connaître le moindre individu. Et aussi perdue que Martine au Cambodge.

Bah oui, le langage ici est, particulier. Les premières semaines, j’ai eu un mal fou à tout comprendre ce qu’on me racontait. Entre les « oh fatch », « tu m’emboucannes », « mon vier » et tout un tas de trucs venus d’ailleurs, c’est pas simple.

Ma foi, je pensais qu'on parlait comme ça juste à Marseille. Enfin, je dois sûrement dire ça parce que là seule fois où j'ai entendu des machins pareils, c'était en regardant Les marseillais en Argentine. Mais faut croire qu'on parle "le fatigué" même dans le 06.

《 Vous serez garant(e) du confort, du bien-être et de la fidélisation de la clientèle du casino, ainsi que de la sincérité des jeux. 》

Pour tout le reste aucun problème. Après avoir enchaîné les boulots d’hôtesse d’accueil, et de croupière, je maîtrise  l’univers des jeux du bout des doigts.

Me voilà donc dans les rues de Grasse à me précipiter dès la première heure pour ne pas être en retard à mon entretien d’embauche. Arrivée au pied d’un immeuble de sept étages, mon regard part du rez-de-chaussée pour venir atterrir au tout dernier. Je me sens toute petite, avec mon mètre soixante cinq. Mais je ne me laisserais pas abattre. La Minimoys est bien décidée à montrer à ce Monsieur Martin à qui il a affaire, et que le poste est fait pour elle ! Je suis venue pour réussir, et je réussirais !

Grave ! Et je me suis pas tapé trois bornes à pattes en Jimmy Choo pour repartir sans le poste comme une looseuse !