Van Gogh.

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«Il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens».

Vincent Van Gogh.

Ce garçon avait une adresse dans la façon de bouger son poignet et un don hors du commun lorsqu'il s'agissait de peindre.

Koïwenn, ou Van Gogh comme on aimait l'appeler parfois à cause de ses origines néerlandaises provenant de ses arrières grands-parents, était un enfant talentueux. On le lui disait depuis tout petit. Ses parents, ses amis et les professeurs restaient émerveillés devant ses dessins et ses sculptures. Le petit garçon qu'il était avait grandi en même temps que son égo ne cessait de se gonfler. Aujourd'hui, il disait qu'il était doué. « Voilà tout », ajoutait-il à chaque fin de phrase.

J'avais rejoint Lola quelques heures auparavant, qui m'avait proposé de passer par chez Koïwenn. « Tu ne connais pas Van Gogh ? elle s'était étonnée alors, tandis qu'elle allumait une cigarette. Je vais te le présenter. C'est un drôle de personnage, mais tu verras ; c'est un amour ». J'avais ajouté qu'il avait un drôle de prénom, mais Lola n'avait pas fait attention à ma remarque. 

Koïwenn était un bon ami au petit copain de Lola. Ils étaient dans la même école d'arts appliqués. Ce soir-là, après les cours, Lola et moi étions allés chez lui. J'étais anxieuse à l'idée de pénétrer dans l'appartement d'un inconnu, sans que celui-ci ne me connaisse non plus.

On a frappé à la porte et un drôle de personnage est venu nous ouvrir. Koïwenn était grand et maigre ; il portait de larges lunettes aux verres carrés au-dessus de sa tête, cachées entre ses cheveux blonds et en bataille qui tombaient sur son front. Entre ses lèvres tanguait un joint allumé qui fumait de son embout de braises. Ce jour-là, lorsque sa silhouette apparut dans l'encadrement de la porte, il portait un simple boxer et des sandales. De sorte que la première chose que je vis fut son torse maigre et blanc.

« Salut Van Gogh, lança Lola en entrant. Je te présente mon amie, Hélène ».

En guise de salut, il fit un geste de la tête à mon égard en tirant sur son joint, et m'invita à entrer d'un geste de la main.

Son appartement puait le tabac froid. Il y avait des habits jonchant le sol, et des peintures partout, ainsi qu'une couche de fumée qui voilait nos alentours. C'était le cliché même de l'adolescent talentueux qui consacrait ses heures perdues à faire glisser un pinceau sur des toiles blanches. Les murs décrépis et jaunâtres de l'appartement brillaient sous la seule ampoule qui tanguait au-dessus de nos têtes et qui vacillait légèrement. Une musique sonnait, c'était du rap, sûrement le Wu Tang Clan que je reconnus.

Il alla s'asseoir sur le sofa lourdement et croisa ses jambes frêles. Lola le rejoint.

« Quoi de neuf ? demanda-t-elle.

-Mph, rien », murmura l'autre, et j'entendis sa voix pour la première fois. Elle n'avait rien d'exceptionnel. Peut-être un peu brisée par la fumée. 

Ils parlèrent ensuite de Gabin, le copain de Lola, qui était avec ses parents à ce moment-là. Koïwenn semblait réservé. Il s'amusait avec la fumée de son papier roulé, qu'il faisait entrer dans ses narines, qu'il faisait voler entre ses doigts fins. Parfois il disait quelques bribes de mots. Ses yeux ne croisaient jamais les miens, ils se déposaient juste sur Lola lorsque cette dernière racontait quelque chose. J'étais muette, je les regardais parler, et de temps en temps je lançai un regard discret au joint qui pendant de ses lèvres et qui brûlait nonchalamment.

Je regardai autour de moi, observant les toiles que Koïwenn avait peint. Il y avait de tout, mais pratiquement la totalité de ses œuvres ressemblaient à des amas de couleurs vives qui s'enroulaient les unes avec les autres. J'étais obnubilée par ses peintures, de sorte que je ne remarquai pas que Lola était allée aux toilettes, et que j'étais seule avec le prénommé Van Gogh qui m'observait depuis son sofa.

« T'aimes bien ?

-Hein ? -il me réveilla de mes observations, et je fus surprise de remarquer que nous étions seuls dans le salon-.

-Mes peintures, elles te plaisent ?

-Elles sont...Originales.

-C'est vrai. Mais c'est ça, l'art, en fait. C'est l'originalité ».

Il se leva doucement du sofa, chancela, comme sujet à un vertige, et alla rejoindre l'une des toiles qui jonchaient à mes côtés en s'agrippant là où il pouvait pour s'aider à marcher. Il l'attrapa de ses doigts fins.

« J'ai peint ça après avoir fumé cinq pétards, lundi dernier. Je ne sais pas pourquoi, j'avais l'impression que mon esprit contrôlait totalement mes doigts, tu vois. Et que je peignais exactement ce dont j'avais envie de peindre ».

Cette remarque me laissa confuse. Je ne savais pas vraiment où il voulait en venir, et il le remarqua dans mes grands yeux ahuris.

-Tu n'as jamais fumé, c'est ça ?

-Non.

-Tu devrais.

-J'ai pas... forcément envie, tu vois. J'aime l'art aussi, mais je pense pas avoir besoin de pétards pour créer.

-Oh...Et, quel genre d'art tu produis ?

-J'écris, dis-je fièrement. Enfin...J'écrivais très souvent, avant. Mais là, depuis quelques années, j'ai arrêté pour me concentrer sur les études.

-Il ne faut jamais arrêter. L'art nous permet de survivre. Regarde -il pointa ce même tableau qu'il m'avait montré quelques secondes auparavant-. Si je n'avais pas peint ce truc, j'aurais laissé plein d'émotions et de sentiments en moi, en mon for intérieur, et jamais je n'aurais pu les faire éclore. Maintenant, quand je regarde cette peinture, je me sens libéré ».

J'ai hoché la tête ; je comprenais ces mots, sûrement parce que j'avais ressenti la même chose la veille lorsque je m'étais mise à écrire, suite à cette étrange sensation qui s'était éprise de moi.

Lola revint et coupa court notre conversation.

« Vous avez pris le temps de vous connaître ? demanda-t-elle.

-Ouais, lança Koïwenn. Elle est cool, je l'aime bien ».

Il m'a regardé, son joint entre ses doigts, et m'a souri avec les yeux mais pas avec ses lèvres. Je suis restée muette, mais j'ai partagé ce sentiment : j'aimais bien ce garçon, moi aussi.

« Tu fais quoi ce soir ? lui demanda Lola.

-Je vais chez mon pote Tanguy. Il fait une soirée chez lui ».

Le mot « soirée » me paraissait interdit. Lorsque je l'écoutai, une envie de musique et de fête secoua mon corps. Je fus soudainement envieuse à l'égard de sortir, de danser, de m'amuser, entourée d'autres étudiants. Alors, lorsque Koïwenn nous proposa d'aller à cette même soirée, je fus surprise mais toutefois heureuse.

« Pourquoi pas, lança Lola. T'es partante, Hélène ? On va se dégourdir un peu les jambes entre deux verres de vodka ? »

Je ris à sa remarque et hochai la tête. Koïwenn paraissait satisfait, il se leva du sofa avec nonchalance.

« C'est a vingt-heures. Il habite à l'immeuble en face, là -et il montra de son doigt par la fenêtre un appartement en face du bâtiment-. Je vais me doucher. On se retrouve là-bas, d'accord ? »

Avec ces mots, il venait de nous demander implicitement de quitter son humble demeure. Lola et moi l'avions compris. Nous nous levâmes en même temps et rejoignîmes la porte tandis que, sans un seul mot d'au revoir, Van Gogh se dirigea vers sa salle de bains.

Oedipe reineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant