Prologue

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— Tu es arrivée en retard, aujourd'hui...

C'est comme ça que ça avait commencé.

— Il va falloir te rattraper...

Enfin ! Depuis le temps que je rêvais de devoir rattraper mon retard sur son bureau ! Oui, sur son bureau, pas dans ou sous ! Les fesses collées sur son sous-main plutôt que sur ce maudit fauteuil en velours noir, les cuisses largement écartées devant son nez plutôt que sagement croisées sous mon siège... Ce type peut me coller tous les dossiers qu'il veut sur le dos, s'enorgueillir de mes succès et me tancer à la moindre déconvenue, je reste sourde à mon instinct qui me dit de fuir. Je suis une biche et il est un loup équipé de phares. Je suis éblouie. Depuis mon premier jour de stage dans les bureaux d'un de ses acolytes, jusqu'à aujourd'hui où nous sommes désormais presque collègues. Presque. Un jour, je m'associerai à leur cabinet d'expertise financière. En attendant, il reste mon supérieur hiérarchique et le mec le plus bandant du bâtiment. Le plus convoité, aussi. Toutes les filles connaissent son goût pour les retardataires. Nous nous appliquons à trouver le dosage idéal entre « être exquisément en retard » et « être virée pour dépassement horaire chronique ». Cette fois-ci, j'en suis sûre, c'est mon tour, et je compte bien ne plus jamais laisser ma place.

— Ferme la porte derrière toi.

Je m'appuie contre le chambranle et tiens la porte entrouverte quelques secondes, le temps qu'il s'aperçoive que je n'obéis pas aussi rapidement qu'il s'y attend. Il oublie en permanence que je ne suis plus stagiaire, ni non plus son assistante. En homme habitué à ce que son autorité soit respectée, il fronce les sourcils, agacé. Le plus lentement qu'il m'est possible de le faire, le visage neutre, sans le quitter des yeux, je m'avance et ferme la porte derrière moi, avant d'en tourner ostensiblement le loquet. Il penche sa tête et plisse les yeux. Je connais sa façon de faire, les jeunes filles ne sont pas très discrètes quand elles racontent leurs ébats avec BIG Ted. BIG pour « Beau Intelligent Grossier ». Et BIG pour la taille de son membre. Il aime leur faire la leçon sur leur retard, les impressionner de sa verve. Puis il fait mine de les raccompagner, et paf, d'un coup, les plaque contre le mur, verrouille la porte et les prend comme ça, debout ou à quatre pattes sur le grand tapis régulièrement remplacé. Mais il est hors de question que je participe à l'histoire collective. Le changement de situation semble lui plaire, en tout cas il ne me sort pas sa diatribe sur le respect des horaires et reste silencieux. A pas lents, je contourne son immense bureau, l'oblige à reculer son fauteuil en m'immisçant entre lui et le plateau de verre. J'ai passé des années à surveiller mon alimentation et mon activité physique, à vernir mes ongles et à polir mon corps, pour ce jour où je vais l'autoriser à me posséder. Du bout des lèvres, je lui lance :

— C'est ton jour de chance, gros veinard...

Je soulève lentement ma jupe devant ses yeux exorbités. Pas de petit coup vite fait ce matin, il va devoir prendre son temps. Il passe sa langue sur ses lèvres et lève des yeux émeraude vers moi, comme pour demander mon assentiment.

— Oui. Tu peux.

Je l'entends ricaner, mais il se jette tout de même sur ma culotte en dentelle pour l'enlever précipitamment. Un tiroir s'ouvre, mon sous-vêtement rejoint ses consœurs dans un froufrou presque inaudible. Ce sera la dernière, le clou de sa collection, j'en fais le serment. Je me hausse sur la pointe des orteils et appuie mes fesses sur le rebord du bureau. Puis, concentrée pour ne pas perdre l'équilibre, je monte lentement mes jambes et pose délicatement mes pieds sur ses accoudoirs. Je me suis entraînée un milliard de fois pour réussir cette prouesse digne des plus grands cabarets, et je suis fière de ne pas trembler. Mon unique spectateur dénoue sa cravate sans me quitter des yeux, la dépose délicatement sur un coin du bureau et, prenant soin de ne pas bouger d'un centimètre son fauteuil, se penche vers mon sexe offert. Sa langue est glacée et avide, comme je me l'imaginais. Il me dévore, impatient, insatiable. Il y met autant d'application que lorsqu'il traite les dossiers les plus complexes, ce qui m'excite au point de devoir m'isoler après chacune de nos réunions de crise. Ce type est une machine, un robot destructeur, il éradiquerait le système financier de Dark Vador lui-même. Soudain, n'y tenant plus, il s'empare de mes jambes et me force à basculer en arrière. Je ne peux pas retenir un couinement. Raté pour mon personnage de reine des glaces, qui part bouder dans son château. En toute hâte, il déboutonne sa braguette, attrape un préservatif dans sa réserve personnelle et l'enfile d'une seule main. L'autre est occupée à me masturber vigoureusement. La tête me tourne, quelque chose ne va pas.

— Attends... Enlève ta chemise.

Il s'arrête, surpris.

— Pour quoi faire ?

— Je... Je veux te voir.

Ses yeux me fixent longuement sans que je sache traduire leur éclat. Il tord légèrement la bouche, mais porte les mains à sa chemise et entreprend de la déboutonner, sans baisser le regard. Je ne peux pas éviter de ressentir une gêne légère et m'efforce de chasser cette faiblesse. Quand il ôte le tissu de ses épaules et le laisse glisser au sol, je ne peux m'empêcher d'écarquiller les yeux. Son corps est tout simplement parfait. Une machine sculptée par des machines.

— Tu voulais me voir. Ca te plaît ?

Je rattrape la reine des glaces qui est en train de fondre dans son vestibule et je me ressaisis :

— Pas trop mal pour un gratte-papier.

Il esquisse son sourire des réunions « personne ne sortira d'ici vivant », celui qui me donne toujours tellement chaud. D'ailleurs, quelqu'un a allumé le radiateur, non ? En plein mois de juillet, quelle drôle d'idée !

Avec une douceur surprenante, il se penche à nouveau sur mon cas désespéré, ou plus exactement sur mon point central, pour le lécher tout en se masturbant un peu. Je pense que je vais mourir, puis que je ne me suis jamais sentie aussi vivante, puis à nouveau que je vais décéder dans la minute. Il se dresse à nouveau devant moi, la bouche rose et humide, les cheveux tout décoiffés. Le BIG, rien que pour moi. Je ne respire plus, attendant qu'il me pénètre enfin.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Il jubile, taquin.

— Je profite du spectacle...

— Je te signale que c'est une prestation avec participation du public.

Une lueur pâle colore ses tempes. Soudain, il m'empale sur lui et m'arrache un cri. J'attrape le rebord du bureau derrière ma tête pour ne pas glisser. Des hanches, je réponds à ses coups de butoir. Il glisse en moi comme dans du beurre tellement je suis excitée. Son charisme me fascine, il est présent dans toute la pièce et dans tout mon être. J'aspire toutes ses molécules dans mon sexe, je les range dans des petites boîtes et je ne les rendrai jamais. Il continue d'accélérer alors que ça me semblait impossible, et soudain, place sa main sur mes yeux et s'enfonce encore plus profondément en moi. Le plaisir m'envahit comme une vague tiède quand j'entends son râle victorieux. Il écroule ses muscles sur moi, humide et bouillant, reprenant son souffle dans mon oreille. J'aime le contraste entre le froid du verre dépoli dans mon dos et son corps brûlant sur mon ventre. Avant de se retirer, il écarte sa main de mon visage et, comme s'il hésitait, embrasse mes lèvres.

L'avantage d'être situé tout en haut d'une hiérarchie, c'est qu'on a droit à tout un tas de privilèges. Par exemple, on possède le plus grand bureau au dernier étage. On a accès à une salle de bain et à un vestiaire privés. On peut se taper toutes les stagiaires, et décider un jour de ne se consacrer qu'à une seule femme sans que les autres n'aient leur mot à dire. Et je suis totalement en accord avec ça, surtout quand c'est moi, la femme dont il s'agit. Nous emménageons rapidement ensemble dans un grand appartement en plein centre de Paris. Je craignais de perdre ma liberté, mais finalement, nous nous croisons plus souvent au bureau que chez nous. Je préfère emporter mes notes à l'appartement alors qu'il préfère rester travailler sur place. Je passe des heures sur chaque dossier, quelle que soit son importance, m'acharnant pour atteindre un jour son niveau à lui. Je veux qu'il m'admire autant que je l'admire. Je suis prête à tout pour atteindre cet objectif, et je sais que j'en suis capable. Qui aurait cru qu'il saurait être l'homme d'une seule femme ? Voilà déjà une étape d'accomplie. Souvent, je repense à ce matin où je suis arrivée en retard.

C'est comme ça que ça acommencé, et c'est comme ça que je construis ma vie désormais, en gravissantles marches vers cet homme inaccessible.

En travaux : MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant