Soudain, j'ai pensé à ce que toute cette phrase impliquait. Si Sacha s'émerveillait devant la vue ce n'était pas parce que ça lui était nouveau ou qu'elle adorait l'expérience. Sacha savait qu'un jour elle serait incapable de voir une chose pareille. Elle vivait tout en ayant connaissance qu'un jour, tout ce qu'elle voyait serait réduit au néant. J'ai tenté de me mettre à sa place, mais j'en étais incapable. Comment un être humain pouvait-il endurer le fait de savoir qu'il allait perdre la vue ? Comment Sacha faisait-elle pour le supporter ? Quand on naît aveugle, au moins on ne sait pas ce qu'on manque. Quand on apprend qu'on va perdre la vue, alors là, tout ton monde chavire.

Je l'ai rejointe sur le plancher de verre. Je n'ai pas osé regarder ce qui se trouvait en dessous de moi. Sacha m'a agrippé les poignets.

— Regarde, ça ne va pas te tuer.

Voyant que je n'étais pas convaincu, elle a ajouté :

— Arrête d'avoir peur.

J'ai ricané.

— J'aimerais te dire la même chose, Sacha.

— Ce n'est pas pareil.

— Si, ça l'est. J'ai peur des hauteurs, toi t'as peur d'être vulnérable.

Elle a levé les yeux vers moi.

— C'est pour ça que tu veux t'éloigner de moi : t'as pas envie de dépendre de qui que ce soit.

— Et alors ? a-t-elle demandé. C'est mal de vouloir ça ?

— Sacha, un jour ou l'autre il y aura toujours un moment où tu te sentiras vulnérable. Le truc, c'est que tu ne peux pas t'éloigner des gens qui t'aiment à chaque fois. Ça ne marche pas comme ça.

Sacha a baissé les yeux. J'ai imité son geste, refoulant mes craintes. Après tout, je n'étais toujours pas mort. Le vertige m'a pris d'un coup lorsque j'en suis venu à voir à quelle hauteur je me trouvais. La vue était magnifique, oui, mais ça n'en restait pas moins effrayant.

— Tu vas t'évanouir ? m'a questionné Sacha.

J'ai ricané.

— Peut-être bien, j'en sais rien.

— Tu veux qu'on s'en aille ?

— Non, ça va.

— T'es certain ? Ça ne me dérange pas...

— Sacha ! C'est bon, d'accord ?

Je me suis efforcé de regarder encore et encore, combattant ainsi ma peur des hauteurs. Au bout d'un moment, le fait d'apercevoir la même chose à répétition m'a calmé. La ville apparaissait minuscule d'où je me trouvais. Un voile noire recouvrait Toronto, mais les nombreux édifices éclairés rendaient la vue superbe.

Finalement, on s'est retiré du plancher de verre quelques minutes plus tard, car les touristes se faisaient de plus en plus nombreux à cet endroit. Sacha et moi nous sommes alors dirigés de l'autre côté de la tour, là où les choses étaient plus tranquilles. La blonde s'est appuyée contre la rambarde, les yeux brillants.

— T'as peur de quelque chose au moins ? lui ai-je demandé.

Elle m'a regardé droit dans les yeux.

— J'ai peur des orages, a-t-elle murmuré.

— Ah bon ?

— J'ai horreur de ça.

— Tu sais ce que ma mère me disait quand j'étais gamin ? Que c'était Dieu qui faisait de la moto, ai-je admis. Je crois pas à Dieu, mais cette idée m'a toujours fait rire.

La théorie des cactusWhere stories live. Discover now