Souvenir de Zone 4

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               Zone 4, rue marcony, à Abidjan. Fin d'après-midi.

On est Samedi... ou Dimanche, je crois. C'est marrant comme à chaque fois que je reviens en Côte d'ivoire, je perds le fil des jours et du temps en général. Je crois que c'est parce que lorsqu'on est vraiment heureux, on ne s'embête plus à regarder sa montre. D'ailleurs, la mienne n'a pas survécu à la dernière douche que je lui ai fait subir. Il faut croire qu'elle n'était pas si waterproof que ce que je pensais. Non, la vérité c'est que j'ai toujours su qu'elle n'était pas waterproof, mais comme j'ai souvent été trop fainéant pour la retirer avant de me laver, je me suis convaincu qu'elle allait tenir le coup.

Bref, le fait est que je suis là, sous la pluie et sans ma montre. Ici, quand il pleut, ça donne toujours une petite atmosphère de fin du monde. On ne voit pas à plus de 3 mètres à la ronde tellement le rideau de pluie est dense, et l'eau remplit les nids de poule disséminés un peu partout dans ce qu'il reste du sacro-saint goudron colonial. Mes pieds ont actuellement disparu dans une de ces flaques opaques à cause de la boue. Je dois avoir l'air idiot, planté comme ça dans ma flaque, à regarder mes chevilles.

A la base, je suis censé aller chercher du pain au Super U, un peu plus loin sur la rue transversale. Je vais aller le chercher le pain, même si je le trouve ignoble. On dirait le pain qu'on donne aux porcs parce qu'il n'est plus comestible. Tu le tiens par une extrémité, et il se courbe comme une limace en fin de vie. Bon, j'en rajoute peut-être un peu, mais tout ça pour dire qu'il y a quand même deux trois choses qui me manquent de la France, comme le bon pain. Si le pain était à la hauteur de mes attentes, peut-être que je ne serai pas là à profiter de l'averse qui me tombe dessus. Rester sous la pluie et la sentir vous submerger a quelque chose de magique. Ça peut paraître un peu ridicule à dire comme ça, voire même cliché, sauf pour celui qui a véritablement fait l'expérience de sortir un jour de pluie sans autre but que d'apprécier l'eau sur sa peau.

« -N...,Non, vraim..., c'est bon, je ...ais me d...oui...er. »

Je tourne la tête vers la voix, hachée par le tonnerre des gouttes sur le sol. Un taxi compteur est arrêté sur le côté de la route, à quelques mètres de moi. L'orange caractéristique de sa carrosserie se confond presque avec la boue.

« -Oui, ça va aller, je vais rentrer chez moi, ce n'est pas loin. »

Le taxi redémarre et s'en va. Il laisse apparaître derrière lui une silhouette féminine. La situation me semble immédiatement étonnante, c'est assez rare que les taximètres soient insistants avec leurs potentiels clients. Je mets ça sur le compte du sexe de la jeune fille, et de la pluie battante. De là où je me trouve, elle a l'air presque aussi trempée que moi, ses longs cheveux noirs plaqués contre son visage. J'hésite à me rapprocher d'elle. C'est étrange qu'elle non plus ne bouge pas. Elle ne m'a pourtant pas encore vu, puisque que sa tête est toujours fixée vers le sol.

Je reste là à la regarder un petit moment, jusqu'à ce qu'elle finisse finalement par bouger. Elle se baisse doucement et finit accroupie, les genoux collés l'un à l'autre et les mains posées sur ses joues. Je me décide à aller m'assurer qu'elle aille bien, vue les signes évidents de détresse qu'elle renvoie.

« -Je peux vous aider ? Vous n'avez pas l'air en forme. »

Elle lève la tête vers moi. Elle a un très joli visage, même couvert de pluie.

« -Pas vraiment, non. » Elle se force à sourire. « Et avec la pluie par-dessus, ça donne ce magnifique tableau. » Elle se passe le coude sur les yeux.

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