Le crépuscule du Saumon

Il lui était encoreimpossible de distinguer ce qui en était à l'origine. Un grouped'antilopes saïga ? Un troupeau d'aurochs reconstitué pour lasaison de reproduction ? Une meute de loup en quête denourriture ?

Il devait encoreattendre.

Un léger nuage depoussière était maintenant bien visible, mais ne permettaittoujours aucune identification. En revanche, il y avait plusieursindividus qui se déplaçaient à l'unisson d'un bon pas.

Encore quelques minuteset il pourrait savoir à qui il avait affaire.

Le groupe semblait troppeu nombreux pour constituer un troupeau de bisons. Ceux-ci sedéplaçaient par dizaines de milliers d'individus. Ils soulevaientirrémédiablement un nuage de poussière perceptible à deskilomètres à la ronde et le martèlement des sabots résonnait loinsur la toundra. Tarok avait placé brièvement son oreille sur lesol. L'absence de vibrations lui confirma qu'il ne s'agissait pasd'eux.

Restaient les loups etles aurochs dont les meutes et les troupeaux ne se composaienttraditionnellement que de quelques dizaines d'individus.

Puis, le cœur de Tarokse mit soudain à battre plus fort, sa main se crispa violemment sursa sagaie. Il s'agissait d'un groupe d'hommes. Il n'y avait plus dedoute possible. Ils étaient une trentaine et les massacres quiservaient de coiffe et ornaient les têtes de deux d'entre eux nelaissaient planer aucun doute. Il s'agissait du peuple des tueurs debisons.

Leur présence, àl'ouest de leur territoire ne pouvait signifier qu'une seule chose.Le début de la chasse ne leur avait pas permis d'accumulersuffisamment de viande. Ils menaient donc une seconde campagne pourmettre les leurs définitivement à l'abri.

Tarok comprit aussitôtqu'ils se dirigeaient vers le gué que son clan occupait plus bas.S'il était un lieu de pêche idéal pour les siens, il était aussiutilisé par les bisons pour traverser la rivière dans lesmeilleures conditions.

Leschasseurs devançaient donc les immenses troupeaux pour lestraquer et les piéger lorsqu'ils traverseraient le gué.

Cela s'était déjàproduit il y a cinq printemps. Ceuxdu bison avaient alors surpris le peuple de Tarok. Nullementdésireux de partager le gué, ils avaient attaqués les siens, lespoussant à fuir. De nombreux hommes, surpris dans la rivière,simplement armés de leurs harpons étaient tombés sous les courtessagaies propulsées par leursennemis. Ce peuple, meurtri, dépassé par la violence de cesguerriers, avait dû fuir en urgence. Les chasseurs les avaientpoursuivi plusieurs jours, tuant encore une demi douzaine depêcheurs. Ils n'avaient cessé leur chasse à l'homme qu'à partirdu moment où ils s'étaient emparés de quatre jeunes femmes duclan. Ils les avaient conservées en vie et étaient repartis avecelles. Arnok avait alors expliqué qu'ils capturaient les femmes desautres clans pour en faire des esclaves puis des compagnes pourcertains de leurs chasseurs.

Le clan du bisonétait belliqueux et il inspirait une crainte légitime aupeuple du saumon, plus pacifiste.

Ce qui assurait lasupériorité des chasseurs c'étaient les courtes sagaies dont ilsdisposaient, qu'ils pouvaient projeter de loin et qui se fichaientavec une grande violence dans les cibles qu'elles atteignaient.

Malgré leurspropulseurs, les sagaies du clan du saumon ne parvenaient jamais àcouvrir des distances identiques. Aussi, lors des affrontements, ilsétaient touchés bien avant de pouvoir riposter. L'utilisation dessagaies courtes demeuraient un mystère. Elles ne ressemblaient pas àcelles en usage chez le groupe de pêcheurs de saumon. Trois morceauxde plumes étaient collés à la résine et à l'ocre à l'une desextrémités qui était légèrement entaillée. A l'autre extrémité,collée de la même façon et sertie dans une encoche, une pointe sesilex taillée en triangle étaient maintenue par une fine lanièrede cuir.