Nightbloods

I.

Lexa était là lorsque la jeune femme, une Skaikru, avait déversé son sang sur le sol. Elle n'avait pas pu s'empêcher de tressaillir à la vue de sa couleur. Noire. Elle avait senti les autres Nightbloods serrer les dents. Qu'est-ce que cela signifiait ? Une Skaikru élue ? Ca n'avait aucun sens. Le Peuple du Ciel ne pouvait pas avoir de Nightblood. Précisément parce que le Nightblood se transmettait de génération en génération.

Cela ne pouvait signifier qu'une chose. Pourtant, aucun Terrien ne l'aurait jamais avoué.

Mais Lexa, qui était restée débout, adossée contre l'écorce d'un arbre, voyait les choses différemment de ses confrères. Elle trouvait cette situation des plus intrigantes. Elle ne cessait de scruter la jeune femme de haut en bas, bien décidée à l'étudier. Car après tout, dès ce soir, celle-ci serait son ennemie. Comme tous les autres, songea-t-elle.

Pouvait-il être possible que l'esprit d'Anya n'ait pas choisi l'un des leurs ? 

Tous les Nightbloods étaient réunis pour la dernière fois autour du feu de camp, en attente de la décision du conseil. Assis ou debout, à jeter ce qui leur passait sous les mains entre les flammes, ils songeaient à ce qui venait de se passer. Et ce qui s'apprêtait à se passer. 

Tous s'observaient en chien de faïence.

Il n'en restera plus qu'un.

- De toute manière, on en fera qu'une bouchée, lâcha la voix cynique d'Ontari. Elle ne fera pas long feu. Il n'y a pas manière à se torturer. Elle n'arrive pas même à la cheville de ma petite sœur !

- Faisons un pacte, surenchérit aussitôt Roan. Skaikru est peut-être parvenu à duper Anya, mais il n'en sera pas de même pour nous. Tuons-la dès que le combat commencera. Elle n'est pas l'une des nôtres. Elle n'est pas une vraie Nightblood. Elle n'a pas vécu ce que nous avons vécu, et elle n'a aucunement le droit de nous voler ce qui nous revient de droit !

Des hurlements enthousiastes. Des poings en l'air. Jamais les Nightbloods n'avaient semblé si soudés que dans leur projet d'assassinat.

L'heure des alliances avait sonné, songea Lexa. Elle n'était pas sans se douter que les alliances avaient toujours été plus ou moins tacites. Les Nightbloods d'un même clan choisiraient de tuer d'abord ceux des autres avant de se tuer entre eux.

Mais cette jeune femme... qui était venue frapper au cœur de Polis, lors des obsèques de la Commandante même, sans une seconde d'hésitation, sans aucun signe de faiblesse... Elle n'avait personne à qui se rallier. Aux yeux des autres, elle n'était pas une concurrente. Elle n'était qu'une proie.

Anya n'avait jamais caché son affection pour Lexa, ce qui l'avait, par la force des choses, contrainte à une forme d'isolement vis-à-vis de ses confrères. L'admiration qu'ils avaient pu éprouver à la vue de ses talents au combat s'était muée en jalousie, en crainte. 

- Et toi, Lexa ? Qu'est-ce que t'en penses de tout ça ? Tu n'as pas dit un mot depuis que nous sommes rentrés au campement, dit la voix calme, mais non moins chargée de soupçons de Luna, qui s'était levée pour lui faire face.

Les yeux de Lexa croisèrent les siens l'espace d'une seconde, le temps de percevoir le regard de défi que son interlocutrice lui lançait. Puis elle reporta son attention sur le feu. Pour les autres, son silence en disait plus long que les mots. Tout autour d'elle, ils commençaient à se lever.

Elle se retrouvait désormais dans la même situation que la Skaikru, quelques heures plus tôt, songea-t-elle, non sans un certain cynisme. 

Seule contre tous.

- Parle ! rugit Roan.

- Heda est morte. Assassinée. Et nous ne savons toujours pas pourquoi ni par qui, commença Lexa, avec une pointe de férocité. La seule personne qui n'aurait pas pu la tuer est celle que vous avez désignée.

Elle marqua une pause avant d'asséner :

- Je trouverai le coupable et je défierai quiconque souhaite m'empêcher de découvrir la vérité.

Et la vérité, songea-t-elle, elle ne l'obtiendrait qu'auprès de la Skaikru...

- Serais-tu en train de nous accuser de la mort de Heda, Lexa ? s'exclama Emori avec ardeur, qui pointait sa main déformée sous son bandage dans sa direction.

Lexa soutint son regard.

- Je ne mourrai pas sans connaître la vérité.

A peine avait-elle achevé de prononcer cette phrase, que les tambours de guerre entamèrent le rituel.

Le conclave allait commencer.