Nous restons silencieux tout le restant du voyage et je suis soulagé lorsque l'on arrive sur le parking.

Sarah saute de la voiture, puis se précipite aussitôt vers les jeux installés au départ du chemin entourant le lac. Je me tourne vers Maud, son sourire ne la quitte pas. Nous nous asseyons sur l'un des bancs placés autour des structures de jeux.

— Et vous, demandé-je, vous avez prévu quelque chose pour les vacances ?

— J'avais l'intention d'aller skier, mais un travail prévu sur le tard m'a contrainte à modifier mes plans.

Sarah appelle sa mère pour qu'elle la regarde, ce que nous faisons tous les deux. Elle est très mignonne et sous une ample chevelure brune et frisée, elle arbore un large sourire qu'elle doit tenir de sa maman. Je me tourne vers Maud, qui ne quitte plus sa fille des yeux. Bien qu'elle paraisse plus tendue que lors de nos précédentes rencontres, elle sourit toujours. Elle est un peu plus maquillée que la dernière fois, alors qu'elle n'en a pas réellement besoin. Et cela la vieillit légèrement.

— Quel âge avez-vous ? demandé-je.

Je sais qu'on n'interroge normalement pas une femme à ce sujet, mais il ne fait aucun doute que son âge n'atteint pas un cap gênant.

— J'ai 29 ans, me répond-elle, pourquoi ?

— Je me posais la question, je n'arrivais pas...

Je ne termine pas ma phrase.

— Est-ce que vous voulez marcher ? me propose-t-elle.

— Sarah a l'air de bien jouer.

— Oui, seulement si on attend qu'elle s'arrête, on risque de patienter là jusqu'à la tombée de la nuit.

Je ne bouge pas, cela ne me dérange pas de rester et je trouve divertissant de regarder la petite fille s'amuser.

— Vous préférez marcher ? demandé-je.

— Je..., hésite-t-elle, peu importe, à vrai dire. En fait, je suis assez mal à l'aise. J'ai conscience que j'ai peut-être été un peu brusque la dernière fois, du coup je ne sais pas comment vous aborder...

Je la regarde, elle ne me fait plus l'effet d'être folle.

— Je crois que vous m'intimidez, ajoute-t-elle.

— Je suis désolé si je vous ai paru sec la dernière fois.

— Ah non, il n'y a pas de raison de vous excuser, c'est moi qui aie été trop intrusive.

Je ne dis rien, je suis d'accord.

— Vous m'intriguez.

Il est clair que notre rendez-vous prend une tournure gênante.

— Le papa de Sarah, dis-je, il ne vit pas en France ?

— Non, il vit au Burkina Faso.

— Ah, donc vous êtes burkinabaise ?

— En réalité on dit « burkinabée », rigole-t-elle, mais non, seul lui l'est. Moi j'ai toujours vécu en France, il est diplomate et a passé quatre ans à Paris, avant de repartir.

— Pourquoi est-ce que vous ne l'avez pas suivi ?

— Nous étions déjà séparés lorsqu'il est retourné au pays, j'avais découvert qu'il avait une femme et des enfants au Burkina.

Je me tais et c'est mon tour de me sentir trop intrusif.

Maud se lève, elle s'approche des jeux en appelant sa fille. J'en profite pour l'observer, elle porte des baskets, un jean bleu foncé lui moulant les jambes qu'elle a fines. Elle est très mince, son manteau, bien que large, ne suffit pas à le cacher. Elle se tourne vers moi.

— On y va ?

Je me lève et les suis toutes les deux jusqu'au chemin. Sarah marche devant nous, on dirait qu'elle ne prête pas attention à ma présence.

Je trouve à la situation des allures irréelles, le fait de me promener avec une jeune femme et sa fille que je ne connais pas. C'est pourquoi je demande :

— Vous faites souvent cela, tenir compagnie à des hommes désespérés ?

Je regrette aussitôt de m'être qualifié ainsi.

— Vous êtes désespéré ?

— J'ai peut-être un peu exagéré.

Je n'en suis pas certain.

— Non, et je ne vous ai pas invité parce que je vous trouvais désespéré.

— Vous me rassurez.

— Je ne sais même pas pourquoi je l'ai fait.

Je la regarde, je suis à peu près sûr qu'elle le sent, néanmoins elle continue de fixer droit devant elle, avant de reprendre :

— J'ai eu envie de vous parler, de vous connaître.

— Eh, regarde maman ! Des canards ! crie Sarah, nous sortant par la même occasion d'un échange gênant.

Maud y fait à peine attention et reprend notre conversation :

— Je crois qu'en fait, je veux vous parler de Sarah, de sa réaction et de son comportement depuis le décès d'Eléanore... Pourtant je me suis confiée à un psy, mais j'ai cru qu'en discuter avec vous serait une bonne idée, que cela m'aiderait à y voir plus clair...

Nous dépassons Sarah, qui reste au bord de l'eau à attendre, en vain, que les canards la rejoignent.

— Seulement j'ai compris que je vous avais imposé cette discussion sans vous demander votre accord. J'ai été égoïste, je vous prie de m'en excuser.

— Vous m'avez un peu bousculé, ce qui n'est probablement pas une mauvaise chose.

Maud sourit et s'arrête. Elle soutient mon regard et je m'étonne de la trouver attirante. Cela ne m'était pas arrivé depuis la mort de Célia. Pourtant lorsqu'elle était encore en vie, il m'arrivait de croiser des femmes et de les trouver séduisantes, mais cela ne s'est jamais reproduit depuis un an et demi. Et je ne m'étais pas préparé à ce que ça recommence.

Heureusement, Maud se tourne vers Sarah afin de lui demander de nous rejoindre. Cela me permet de détourner le regard et je me jure de ne plus me laisser aller.

Nous ne faisons pas le tour complet du lac, il est grand et la nuit risque de tomber avant que l'on ait terminé. Maud me raccompagne jusqu'au parking de l'école et au moment de descendre de sa voiture, je ressens le besoin de lui dire que j'ai apprécié le temps passé en leur compagnie. Cela a l'air de lui faire plaisir, puis s'ensuit un silence confus.

Je m'apprête à partir lorsqu'elle me demande mon numéro de téléphone. Je suis pris de court, et m'aperçois que je ne suis plus certain de m'en souvenir. Mon portable reste éteint la plupart du temps et je ne m'en sers quasiment plus. Je dois m'y reprendre à plusieurs reprises, et je pense lui avoir donné le bon au moment de m'en aller. Je la salue une dernière fois, ainsi que Sarah, puis monte dans ma voiture.

C'est une fois sur le chemin du retour que je doute de nouveau, je ne suis plus certain que le numéro était exact.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 30, 2020 ⏰

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