Chapitre un : L'œil de Rê

63 11 28
                                    


Le Caire, de nos jours

Sassy s'étira de tout son long. Parsemée de tâches sombres sur un pelage doré, les poils épars, la féline se redressa et contempla son environnement d'un regard dédaigneux. Non loin d'elle, couché sur un tapis de jeux éducatifs, un bébé gazouillait gaiement.

Sassy détourna la tête, exaspérée par les babillements du petit être. Sa mère s'occupait de lui préparer de quoi manger à la cuisine. Le félin détestait se retrouver seule avec l'enfant. Elle ne les détestait pas pour autant, elle le tolérait. Avant, il y avait le calme, la plénitude de régner en maître sur ces lieux d'un banal. Voilà tout ce qu'elle n'était pas. Même si ces humains ne s'en rendaient bien évidemment pas compte. Comment le pourraient-ils ? Ils ne comprenaient plus rien à ces temps ancestraux que Sassy avait vu défiler, passant de corps en corps au gré du vent et de la fatalité de ces semblables.

Avant... elle était autre chose. Elle se rappelait des colliers de lapis-lazuli, les offrandes de ses sujets, la splendeur et la décadence de son époque, des palais somptueux des pharaons, du Nil majestueux. Avant, elle vivait tel un pilier pour l'empire. Avant, elle inspirait la crainte et le dévouement. Avant, elle représentait la maternité, la sécurité, la joie. Discrète cependant, on lui avait malgré tout érigé un temple. Quelle fierté ! Avant, elle portait un autre nom, seul vestige de son glorieux passé. Avant, elle s'appelait... Bastet. Et elle était une déesse de la glorieuse Égypte. Sassy... quel vulgaire prénom pour cette gloire éteinte aujourd'hui.

Éteinte ? Non, pas tant que ça. Elle se souvenait à chaque nouvelle vie. Elle ne pouvait pas mourir. Les autres comme elles non plus. Ils ne se souvenaient plus, voilà tout. Bastet refusait cette funeste conclusion. Elle avait réappris à déployer ses pouvoirs comme avant. Cela lui avait pris des millénaires mais elle ne comptait pas s'arrêter en si bon chemin. Oh non ! Jamais elle ne renoncerait. Les humains les considéraient comme de simples poupées de poils, capables de câliner les enfants ou réconforter les âmes en peine. Elle pouvait faire bien plus. Elle ne l'avait pas oublié ça non plus.

L'Œuvre avait déjà commencé.

Un homme grisonnant pénétra dans l'appartement. Il s'approcha à pas feutrés du chat, omettant soigneusement de regarder le bébé toujours sur son tapis. La mère déboula de la cuisine, un essuie sur l'épaule.

— Tu peux prendre Narya le temps que je finisse ?

L'homme avait déjà le chat sur les genoux quand il daigna prêter attention aux propos de la jeune femme.

— Ah, je vois, répondit-elle d'un ton sec. Parfois, je me demande pourquoi tu viens. Pour elle, ou pour nous.

Sa remarque ne se voulut pas réellement blessante, cela l'agaçait néanmoins. Quand le regard de l'homme se porta sur sa fille, elle baissa la garde. Son charisme, l'aura qu'il dégageait, son regard. Elle ne pouvait résister au pouvoir qui émanait de lui. Il exerçait une sorte de pression mentale sur elle et à chaque fois, elle cédait. Pourtant, au fond, elle avait raison.

Il ne venait pas pour elle ou encore le bébé. Il n'était là que pour elle. Elle était son maître, son guide, et lui, son sujet, son serviteur.

Elle ronronna de plaisir, savourant cette petite victoire. Prémisse de tant d'autres à venir. Elle était le maître et bientôt, elle leur montrerait à tous qu'elle n'était pas une vulgaire boule de poils comme Nadine se plaisait à le penser.

Nadine vint récupérer Narya pour l'installer dans la chaise haute.

— Tu t'occuperas d'elle quand nous serons partis ? lança-t-elle à son père d'un ton quelque peu sarcastique.

PanthéonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant