Ranxor et Venin

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— C'est fini.

Ranxor se mit à crier, désespéré :

— Non, maman, non, c'est pas possible !

Il sanglota, serrant plus fort sa petite sœur contre lui. Son père, qui avait assisté sans un geste à son agonie, se retourna vers eux et les foudroya du regard :

— Deux bras en moins et une bouche inutile à nourrir... Tout ça, c'est la faute à cette maudite gamine qu'a tué sa mère, un vrai poison...

Mahaut soupira et s'approcha des enfants, essuyant ses mains pleines de sang sur son tablier. Elle reprit le bébé à Ranxor et l'examina attentivement :

— Elle est en bonne santé, elle va vivre.

— Quel gâchis, il aurait mieux valu qu'elle crève comme les autres !

— Mais elle est vivante, et il faut lui donner un nom.

Widor lança un regard plein de haine au nourrisson :

— Venin, comme celui des serpents, c'est l'seul qu'elle mérite pour c'qu'elle a fait !

L'homme tourna les talons et sortit. Le garçon entendit la sage-femme murmurer :

— Pauvres enfants...

Ranxor s'approcha en tremblant du corps sans vie de sa mère. Il s'empara de sa la main et chuchota, les joues pleines de larmes :

— Je tiendrai ma promesse, maman, je te le jure.

*

Ranxor quitta la masure en courant et partit se réfugier dans les bois, malgré la tombée de la nuit. Il essuya d'un geste rageur le sang qui coulait de sa lèvre éclatée avant de se blottir au creux d'un buisson épais et de sangloter de colère. Sa mère était morte six mois plus tôt, cette mère si douce qui lui manquait tellement. Venin ne pouvant survivre sans lait maternel, Widor, malgré sa répulsion, avait engagé une nourrice, une veuve d'un village voisin qui venait de perdre son bébé, et dont le lait ne s'était pas tari. La mégère avait emménagé chez eux avec ses fils aînés, Kroll et Odon, deux garnements plus grands que lui, à l'air chafouin, que Ranxor avait tout de suite pris en grippe. Malheureusement, Begga, une femme de solide constitution, avait séduit Widor qui, estimant leur délai de veuvage suffisant, venait de décider de l'épouser. Lorsque Ranxor s'était insurgé, évoquant le souvenir de sa mère, son père l'avait fait taire d'une gifle. Begga allait remplacer Lyna et diriger leur foyer. Le garçon se désespérait, car il voyait bien que cette femme ne les aimait pas, Venin et lui. Elle nourrissait sa sœur sans un geste tendre, au contraire de ses fils qu'elle cajolait ostensiblement devant lui. L'injustice de leur sort révoltait Ranxor, mais qu'y pouvait-il, à son âge ? Au fond de son cœur, la rage bouillonnait et il se jura qu'un jour, son père payerait tout cela.

*

Venin, maintenant âgée de cinq ans, pleurait contre le torse de son frère, les joues maculées de terre et ses bras nus couverts de bleus. Une fois de plus, Kroll et Odon s'en étaient pris à elle, en la traitant de sorcière. Le nom frappé d'infamie dont l'avait baptisée Widor constituait une source de moqueries, surtout de la part de sa belle-famille. Ranxor enrageait des humiliations qu'ils subissaient tous les deux, cautionnées par son père qui avait balayé le souvenir de Lyna. Begga imposait ses décisions et donnait la première place à ses fils. Kroll et Odon, plus costauds que Ranxor, savaient se faire apprécier de Widor en l'aidant. Alors qu'ils grandissaient, le lit familial devenait trop petit pour tous. Les enfants de Lyna se retrouvèrent relégués dans la partie des bêtes ; ils dormaient dans la paille, avec elles. Begga s'arrangeait pour leur réserver les tâches les plus ingrates, quand ses fils récoltaient celles qui les mettaient en valeur. Ranxor et Venin ne recevaient que les plus mauvais morceaux de nourriture, du pain rassis ou de la soupe insipide. Leuba, une de leurs voisines, qui les avait pris en pitié mais n'osait s'opposer à Widor, leur offrait parfois un peu de nourriture en cachette.

Ranxor et VeninOù les histoires vivent. Découvrez maintenant