Troisième impact

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Paris, Décembre 2016

Paul-Amaury, en tant que garçon sage et bien rangé, réfléchit toujours avant d'agir. C'est donc avec la mobilisation de toutes ses petits cellules grises qu'il a choisi d'aider la Croix Rouge lors d'une mission d'aide aux personnes sans domicile fixe. Pourtant, il s'agit du genre de personne qui change de trottoir avant de croiser un sans-abri pour ne pas se sentir coupable de refuser de donner une pièce. En revanche, quand le gouvernement propose d'accueillir des migrants, il brandit la cause SDF comme un étendard, car après tout il faut d'abord loger les français de souche avant de vouloir accueillir toute la misère du monde.
Il ressent un certain dédain à l'égard de ces gens. Des parasites qui se complaisent dans les aides qu'on leur accorde.
Ils le mettent mal à l'aise.

Si Paul-Amaury est un jeune homme sensé, on peut s'étonner qu'il ait choisi de passer son dimanche à aider la Croix Rouge au lieu d'aller voir ailleurs s'il y est. La raison est aussi simple et pragmatique que lui : son CV manque de compétitivité. Il est à la recherche d'un stage mais, n'ayant jamais rien fait de ses dix doigts, a une expérience professionnelle totalement vide. Aider des pauvres gens qui meurent de froid dans la rue est donc une façon de se faire bien voir afin d'obtenir ce qu'il veut. Il n'allait tout de même pas intégrer une association féministe ou LGBTQ+, et puis quoi encore ?

Dans les locaux de la Croix Rouge, il fait tâche parmi les autres bénévoles, avec sa doudoune de marque et ses mocassins. Un quadragénaire bronzé et souriant s'avance vers lui et lui serre vigoureusement la main.

«- Salut jeune homme, moi c'est Hervé ! C'est ta première mission ?
- Enchanté Hervé, je m'appelle Paul-Amaury, répond-il avec son air le moins condescendant possible. Et oui, c'est ma première mission.
- Tu vas voir Paul, tu vas t'en sortir comme un chef ! C'est moi qui vais t'amener faire ta ronde. Aujourd'hui on va aller aux quais de Seine !
- Et qu'est ce qu'on devra y faire ?»

Avant qu'Hervé ait le temps de répondre, une grande brune se plante devant lui et lui fait la bise.

Oh non, songe Paul-Amaury, c'est encore elle...

«- Salut Hervé ! s'exclame la jeune femme. Alors comme ça je fais un tour avec toi aujourd'hui ? Quais de Seine comme d'habitude ?
- Mar' ! Je suis vraiment ravi de te voir, ça fait une paye ! Et ouais, aujourd'hui c'est moi qui conduit, tu vas devoir former une nouvelle recrue, c'est une chance parce qu'en ce moment on manque d'effectifs... Je te présente Paul-Amaury !»

À l'écoute de ce nom, "Mar'" se fige.

Punaise voilà ma veine, se dit-elle. Je vais devoir jouer aux baby-sitter avec ce sale gosse.

«- Mais qu'est-ce que tu fous là toi ? Tu vas pas me faire croire que tu t'es trouvé une soudaine passion pour le malheur des autres !!
- Pas la peine de m'agresser, répond le jeune homme, je suis là pour accomplir une bonne action.
- C'est ça, t'es vraiment qu'un sale...
- Eh Mar' mais qu'est-ce qui te prend ?? On agresse pas les gens comme ça ! s'écrie Hervé en séparant les jeunes gens d'un geste sûr. Que ça te plaise ou non, il nous accompagne. Fais lui la bise.
- C'est mort même avec un bâton je le toucherai pas.
- C'est un ordre Marie.»

Avec une moue dédaigneuse, la jeune femme est contrainte d'obtempérer. Elle claque deux bises puissantes sur les joues de Paul-Amaury. Collision.
Une fois Hervé satisfait, celui ci les pousse dans le véhicule de la Croix Rouge où ils se toisent d'un regard noir.

«- Alors comme ça ton prénom c'est Marie. J'imagine que Punchline n'est pas ton vrai nom ? demande le jeune homme.
- Bravo Sherlock, répond-elle d'un air sarcastique. C'est une référence à Orelsan.
- Qui ça ?
- Un rappeur qui.... Laisse tomber, dit elle en levant les yeux au ciel.
- Au fait, tu as laissé tomber un papier l'autre jour. C'est un autre rappeur dessus ?
- De quoi ? Tu l'as avec toi ?
- Je crois... répond-il en fouillant dans sa poche. Ah le voilà. Philippe Poutou. C'est un rappeur ? C'est son label NPA ?»

Marie et Hervé, désarçonnés face à la naïveté du jeune homme, explosent d'un fou rire tonitruant, ce qui ne manque pas de le vexer. Il se recroqueville sur son siège et affiche une moue renfrognée.

«Boude pas gamin ! Terminus tout le monde descend !» s'exclame Hervé en laissant sortir les deux jeunes.

Marie se met à expliquer quelle est leur mission : prendre contact avec les sans-abri, leur fournir boissons chaudes et couvertures et essayer de les convaincre de passer la nuit dans un centre d'hébergement.

Ils commencent donc leur ronde. Hervé et la jeune femme semblent connaître la plupart des gens qu'ils rencontrent, ils n'en sont pas à leur première sortie. Pendant qu'ils discutent avec les SDF, Paul-Amaury sert le café sans piper mot. Il se sent mal à l'aise face à ces gens qui n'ont rien alors que lui a toujours mangé à sa faim sous un toit grâce à la fortune de son grand père. C'est un "fils de", en l'occurrence "petit fils de l'homme ayant déposé le brevet des bouchons de bouteilles de shampooing modernes". Il a toujours eu ce qu'il voulait parce qu'il en avait envie, sans vraiment le mériter.

Il regarde les visages sans vraiment les voir, le malheur défile devant lui et il tente de ne pas trop y prêter attention.

Au bout d'un moment, il considère la personne en face de lui pour la première fois. C'est une femme, c'est la première fois qu'il en remarque une dans la rue. Elle est jeune, elle a sûrement moins de trente ans. Marie s'approche d'elle et lui tend, en plus des couvertures et du café, deux paquets bleus. Des protections hygiéniques. Paul-Amaury est interloqué mais il ne dit rien. Une fois remontés dans le véhicule de la Croix Rouge, il ose enfin poser la question qui le taraude.

«- Pourquoi tu lui as donné des serviettes hygiéniques ?
- C'est évident non ? répond-elle.
- Pas pour moi.
- Être une femme dans la rue c'est très difficile. En plus de l'insécurité, peu de gens pensent à donner des tampons ou ce genre de trucs aux associations alors que c'est des produits d'hygiène extrêmement importants. En plus elle peut pas s'en acheter elle même vu qu'ils sont taxés à vingt pour cent.
- Vingt pour cent ? Comme les produits de luxe ?
- Bah ouais, des meufs ont envoyé des culottes tâchées de rouge à l'assemblée nationale mais les parlementaires ont comparé ces produits à de la crème à raser, ils pensent que c'est superficiel.
- Mais c'est injuste !
- Eh oui c'est pas juste, bienvenue dans la vraie vie.
- C'est fini pour aujourd'hui les gars, les interrompt Hervé. Vous avez bien bossé, rentrez chez vous.»

Tous descendent du véhicule de la Croix Rouge. C'est déjà l'hiver, il fait presque nuit et l'air pince dur. Paul-Amaury commence à rentrer chez lui quand il est interrompu par un «Attends !» de Marie.

«Si jamais tu veux voir ce qu'est la vraie vie une autre fois, rejoins moi à Bastille dans deux jours. Rendez-vous à dix-neuf heures pétantes.»

Avant même qu'il ait le temps de répondre, elle a disparu.

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⏰ Last updated: Apr 17, 2017 ⏰

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