Collision

Premier impact

Paris, 21 avril 2013

Ah, la France ! Pays du raffinement, de la culture, du glamour ! Et de la Manif pour tous. De nombreuses personnes se pressent aux Invalides en cette belle journée de printemps pour crier leur colère. Tous refusent le mariage homosexuel, pour diverses raisons. C'est immoral, contre-nature, Dieu nous l'interdit, disent-ils. Même si le projet de loi sera voté dans deux jours, ils ne lâchent rien.

Parmi eux, la famille Richard. Huit têtes blondes, les parents (un papa et une maman comme le stipule leur idéologie) et leurs six enfants. Chemise et pull négligemment jeté sur les épaules pour messieurs, chandail et rang de perles pour mesdames. Tous arborent fièrement un chapelet, un collier montrant un pauvre homme cloué à une croix. Morbide. Avec leur panoplie de catholiques pratiquants, les Richards se fondent parfaitement dans le décor. Ils ont vraiment l'air dans leur élément, avec leurs pancartes et leurs slogans qu'ils scandent sans discontinuer. En revanche, le fils ainé, Paul-Amaury, préfèrerait être ailleurs. Que les gays veulent se marier ça lui fait une belle jambe. Comme toute sa famille, il trouve ça anormal, monstrueux, décadent... Mais il a un devoir maison de mathématiques à rendre pour lundi, autant vous dire qu'il a mieux à faire. Ce jeune homme est en Terminale Scientifique à Henri IV, un des meilleurs lycées de France qui devrait lui ouvrir les portes des plus grandes classes préparatoires qui lui permettront d'accéder aux plus grandes écoles où il pourra réaliser son rêve et devenir ingénieur. Ces gens peuvent bien faire ce qu'ils veulent tant que ça n'affecte pas sa petite personne ou son dossier scolaire. Mais par soumission et manque de volonté, il crie comme les autres ces mots qui résonnent comme des coups de poing dans le ventre de ceux qui s'aiment.

Soudain, un petit groupe d'une dizaine de personnes s'approche des Richards. En tête de cortège, une grande brune filiforme. Ses cheveux très courts sont en désordre total, comme si elle les avait coupés elle-même. Ils mettent en valeur son visage poupin, celui d'une jeune femme à peine sortie de l'adolescence. Elle porte un t-shirt beaucoup trop grand pour elle arborant le symbole des anarchistes, il tombe et une de ses épaules osseuses est découverte. Son jean troué laisse apercevoir des genoux recouverts de collants en résille. Ses bottes abîmées semblent avoir eu une demi-douzaine de propriétaires. Seul signe extérieur de richesse, un appareil photo dernier cri autour de son cou, du matériel de professionnel. Elle prend plusieurs clichés des manifestants et s'accroupit pour photographier la petite famille. La mère remarque son petit manège et, agacée, la somme de s'en aller.

« Hors de question, j'aime voir comment vous vous servez de vos enfants pour répandre vos messages. », répond-elle.

Le ton commence à monter entre la famille et la photographe, plusieurs de ses amis l'entourent d'un air menaçant. Paul-Amaury, s'approche et tente de lui arracher son appareil.

« Mais putain, dégage sale facho de merde ! », s'écrie-t-elle en reculant.

Autant vous dire que la remarque ne passe pas. Les autres manifestants s'en mêlent, les insultes pleuvent, elle est traitée de « gauchiasse » et réplique avec un « bande de cathos intégristes » grinçant. Les deux camps finissent par en venir aux mains. On lui tire les cheveux, elle riposte avec un crochet du droit en plein dans le visage du père Richard. Le fils, excédé, se plante face à elle et tente de lui montrer tout son talent en gouren, la lutte bretonne, une discipline enseignée par maître Hallégouët qu'il a apprise pendant ses nombreuses vacances dans la résidence familiale secondaire située à Morgat. Cependant, elle ne semble pas intéressée par un combat à la régulière. Son poing file à toute vitesse dans la face du petit bourgeois. Collision. Il vacille et sa tête tombe lourdement contre les pavés. Les yeux à demi fermés, il entend des cris mais sa vue se brouille et il plonge dans le sommeil.