Prologue

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D'un geste las, Jude essuya la poussière qui lui encombrait les coins des yeux.  Il avançait, plié en deux, aussi vite qu'il le pouvait afin d'atteindre les tranchées anglaises.  La nuit était tombée depuis des heures, pas une lumière n'éclairait ses pas et pourtant cela ne l'empêchait guère de trouver son chemin.  Une main à terre pour prendre appui et il fit balancer le reste de son corps vers l'avant pour atterrir sur le sol boueux de la fosse.

« Turner ! chuchota une voix dans l'obscurité.
— Moins fort ! lui répondit-il. Où es-tu?
— Juste ici. »

   Soudain, une très faible lumière se dessina tout près de lui.  La flamme vacillante d'une allumette dissimulée par les doigts entrouverts de Edern Webster. 

« Qu'est-ce que tu fous ?
— Cigarette ? »

   Accroupis, le dos collé aux sacs de sable qui s'entassaient tout le long de la fosse, Edern lui tendit la cigarette de ses mains tremblantes, soit à cause du froid, soit à cause du stress, soit à cause d'autre choses, Jude l'ignorait.

« Où l'as-tu trouvées ?
— Un magicien ne révèle jamais ses secrets. »

   Edern s'amusa de sa propre blague.  Il baissa les yeux en souriant avant de relever le visage et de regarder le ciel.  Une légère brise soufflait dans le cou de Jude.  Il enfonça sa tête dans son manteau pour s'en protéger avant de coincer la cigarette entre ses lèvres.

« À quoi tu penses? lui demanda-t-il en voyant son ami penseur.
— A chez moi, répondit-il après un moment d'hésitation. »

  Jude ne s'en étonna pas, et même avait une idée bien plus précise des pensées qui préoccupaient Edern, qu'il soupçonnait d'être un grand sentimental.  Il lui avait déjà confié qu'être si loin de sa soeur lui coûtait énormément.  Tout le monde savait, là d'où ils venaient, qu'ils étaient inséparable.  Sa sœur à lui aussi, lui manquait, mais Jude préférait ne pas penser à elle.  Il préférait égarer ses pensées du même côté qu'Edern, vers Eurydice Webster. 

« Ca fait longtemps que je n'ai pas écrit à Rory, d'ailleurs, déclara Edern. »

  Jude ne répondit pas. 

« Mais on sera bientôt de retour chez nous, ajouta-til d'un air volontairement léger, en réclamant la cigarette.   Quand on mettra une raclée aux Boches, on rentrera tous à la maison. Définitivement.  Et j'aurais plus besoin de lui écrire de putain de lettre.
— Je suppose que c'est vrai, chuchota Jude en tentant de ne pas lui laisser entendre son scepticisme. »

NorwoodWhere stories live. Discover now