Prologue

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Les montagnes de Torbord, du haut de leurs cimes partiellement enneigées, régnaient sur cette partie de Sulevia. Le grand continent était bordée à l'ouest par la grande mer de Rizzen et à l'est par la mer de Septon. Les lignes brisées des montagnes tranchaient entre le ciel rouge d'Akkadion et le gris foncé des pentes escarpées.

Depuis son départ de la forteresse de Haut-Fort, Arthur Torren n'avait eu pour paysage qu'une roche sombre et nue, glissante par endroit à cause d'une tempête qui avait déversé ses eaux quelques jours auparavant. Emmitouflé dans une pelisse ouatée noire et coiffé de son heaume en forme de bec d'oiseau, le jeune Arthur scrutait l'horizon du haut d'un petit promontoire. Ses yeux verts portèrent un regard lointain vers le sud-ouest où se dressait, par-delà le Val de Cendre, le Col de Belroc.

Derrière lui, une voix le héla.

— Capitaine, venez vite !

La voix déraillait légèrement, trahissant une stupeur évidente. Arthur n'avait pas encore atteint la majorité, mais il occupait déjà le poste de capitaine de patrouille. Le jeune homme descendit un pan escarpé et rejoignit ses compagnons.

— Qu'avez-vous trouvé ?

Un homme bien plus âgé que lui, vêtu d'une armure couleur d'or s'approcha. Il portait un bouclier ovale, jaune, avec deux corbeaux noirs dos à dos en son centre : le blason de la maison Torren.

— Messire... Votre frère... le chevalier Georn...

Une moustache barrait des lèvres serrées tandis qu'il cherchait les mots justes. Ses yeux bleus viraient au rouge, sans doute les avaient-ils frottés. Arthur lisait le chagrin sur son visage ridé comme l'introduction d'un livre ouvert.

— On a retrouvé sa dépouille, avec trois autres personnes, conclut l'homme.

Arthur resta silencieux quelques instants. Selon son père, le Duc du Val de Cendre, Georn avait rejoint des vassaux pour assister à un banquet organisé par la maison Dameron, de l'autre côté du Col de Belroc. D'un geste, il intima à ses hommes de le mener sur le lieu du drame.

Le corps de Georn gisait parmi les rochers avec d'autres officiers. Tête renversée, membres amputés à vif, les corvidés s'en donnaient à cœur joie, déchiquetant la chair dénudée. Le spectacle arracha des vomissements à certains soldats.

Arthur s'approcha des cadavres malgré l'avertissement de ses hommes. Il eut une brève vision de Georn : beau visage, calvitie naissante, barbe bien avancée, de grands yeux marron-vert. Maintenant, la seule image qu'il retiendrait de lui serait celle de son corps déformé, à moitié dévoré par les ailes noires.

— Né parmi les corbeaux, mort parmi les corbeaux, lança-t-il, une pointe d'amertume dans la voix.

Les oiseaux continuaient leur office quand, dégainant une large épée, il s'avança en criant. Et dans une cohue de plumes et de cris stridents, les corvidés s'envolèrent.

— Enveloppez les morts, ou ce qu'il en reste dans des draps, ordonna-t-il. Nous devons les ramener à Haut-Fort et leur fournir une sépulture digne. Là-bas, les volatiles pourront se repaître sur leur tombe sans être dérangés, tel que le veut la coutume.

La descente fut quelque peu pénible avec les restes des corps et l'odeur de la chair en décomposition qui s'immisçait dans leurs narines. Le soleil laissait sa place quand ils atteignirent les portes sud du château.

Haut-Fort dominait toute la région du Val de Cendre. Construit à flanc de montagne sur un dénivelé de quelques dizaines de mètres, ses larges tours rondes se distinguaient difficilement du reste de la montagne. Ses trois grands donjons s'élevaient haut dans le ciel et ses arcs-boutants plongeaient profondément dans les ravins.

L'œuf ombragé - Tome 1: L'archipel de la griffeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant