Page blanche

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Je froissais une nouvelle fois le papier et le jetais au sol tout en jurant. Je n'y arrivais pas. Un grand nombre de ces boules  jonchaient le sol.

Huit jours que je n'arrivais pas à sortir une ligne correcte. Tout me semblait insipide. Envie de rien.

A 35 ans, j'avais écrit déjà trois histoires. Pas de succès planétaire mais mon éditeur trouvait que j'avais une belle plume. Je n'avais pas beaucoup de mérite, les histoires se bousculaient dans mon cerveau. Il me suffisait de m'asseoir à mon bureau et je grattai
du papier pendant des heures, ne m'arrêtant que pour des besoins indispensables.

Le bruit de la sonnette me sortit de mes pensées.
A la porte, tout sourire, je trouvai Guillaume, mon meilleur ami. Toujours là depuis très longtemps. Mon juste opposé. Autant je suis renfermé sur moi-même, autant il est ouvert sur la vie. Souriant, toujours une blague à la bouche.

- Vu que tu ne réponds plus au téléphone, je suis venu voir si tu étais vivant !

- Très drôle. Je vais devenir fou. C'est la première fois que cela m'arrive. Rien. Pas un mot.

- Stéphane. Tu es enfermé dans cette pièce depuis huit jours. Bouge. Sors. Change- toi les idées.

- Je n'en ai pas envie.

- Va prendre une douche, je t'emmène manger.

Guillaume m'avait fait découvrir un petit restaurant simple, peu bruyant. Après le repas plutôt bon à ma grande surprise, nous avions discuté de choses et d'autres. Son boulot de scénariste pour la télé lui apportait ce qu'il en attendait. Puis mon problème de page blanche revint dans la discussion.

- Demain matin, tu n'entres même pas dans la pièce. Tu prends ta voiture et tu vas à Juvigny. Il y a une exposition photo d'un jeune artiste. Ouvre ton esprit.

- Je vais écouter tes conseils.

Le lendemain matin, malgré l'envie, je décidai d'écouter les conseils de Guillaume. A dix heures, au volant de mon vieux break, je pris la direction de Juvigny, bien décidé à ne plus penser à mon manque d' inspiration.

Alors que je roulai depuis un moment, je remarquai une voiture sur le bas-côté, feux de détresse allumés. Je ralentis à la hauteur de celle-ci, prêt à proposer mon aide, mais il n' y avait personne à l' intérieur.
Je jetai un regard aux alentours, personne.
Je repris donc la route.
Je vis sa silhouette d'assez loin. Démarche rapide, assurée. Avec sa valise à la main.
Je m'arrêtai à son niveau, persuadé qu'il était le propriétaire de la voiture en panne.

- Bonjour ! C'est votre voiture qui est en panne, là-bas ?

Il me regarda, un peu surpris me sembla-t- il, puis en s'appuyant à la porte, il me dit.

- Oui. Bonjour.

- Voulez- vous que je vous dépose quelque part ?

- Euh ! Vraiment ! C'est très gentil de votre part, merci. Je peux mettre ma valise dans le coffre ?

- Euh... Il faudra se contenter de la banquette, mon coffre ne veut plus s'ouvrir.

Il posa donc celle-ci sur la banquette. Une valise de voyage, supposais-je en voyant l'étiquette accrochée à la poignée.
Pendant tout le trajet, nous avons discuté des voitures en général, et du temps particulièrement agréable.
Arrivés au garage, je le déposai devant et je continuai ma route.

C'est en arrivant à Juvigny, que je me rendais compte qu'il avait oublié sa valise.

Dire que je regardai l'exposition photographique avec attention serait un sacré mensonge. J'étais obnubilé par cette satanée valise. Au point que je décidai de m'arrêter au garage au retour. Hélas, celui-ci fermant entre midi et deux heures, je rentrai chez moi !

Je l'attrapai sur la banquette et la déposai sur le canapé. Elle était plutôt lourde.

La sonnerie du téléphone me fit sursauter.

- Alors, et cette exposition, tu y as été ? me questionna Guillaume.

- Oui. Euh. Tu peux passer à la maison ?

- Sans problème. Tu prépares le café, j'arrive.

J'avais une terrible envie de l'ouvrir. Mais, stupidement, je n'osais pas le faire. Après tout, elle ne m'appartenait pas.
Une adresse était écrite sur l'étiquette...et un numéro de téléphone. C'était le seul moyen.

A l'arrivée de Guillaume, je n'avais toujours pas appelé. Après lui avoir conté mon histoire, il éclata de rire.

- Tu as bien fait de sortir, tout compte fait. Pourquoi tu n'appelles pas ?

- Je ne sais pas, Guillaume. Un truc qui me chiffonne. Tu trimbalerais une valise sur deux kilomètres, toi ?

- Tu crois quoi ? Qu'il y a de la drogue dedans ? Appelle ce numéro.

- Tu as raison.

Je composai le numéro, mais personne ne décrocha, même après huit sonneries. J'étais encore plus dépité.

- Fais voir l' adresse. C'est à la sortie de la ville. On y va ?

- Quoi ? Tu es fou ?

- Je ne pense pas, mais par contre, ta réaction m'inquiète. Allons voir. S'il n'y a personne, on ouvre cette satanée valise. Et après, on voit.

- On voit quoi ?

- Comment on fait pour partager ce qu'il y a dedans, tiens ! Me dit-il en ponctuant sa blague d'un clin d' oeil.

- Tu as raison, je deviens complètement idiot.

Un quart d' heure après, nous étions à l'adresse indiquée. Une maison, on ne peut plus normale. Avec tous les volets fermés. Je sonnai. Personne.

De retour à la maison, la valise posée sur la table, Guillaume et moi restions étonnamment silencieux.

- On fait quoi ?

- Tu veux appeler la police ?

- Je ne sais pas. Quel droit ai-je de l'ouvrir ?

- Aucun. Mais, tout comme moi, tu es curieux de savoir ce qu'elle contient.

- Alors je l'ouvre ! Mais si elle contient un truc bizarre, on appelle les flics, d' accord ?

- Comme de l'argent ?

- Comme de l' argent.

- Vas-y.

J'actionnai la serrure et levai le couvercle. Et j'éclatai de rire !
Sur une pile de journaux, une feuille avec un message.

" Alors, tu l'as retrouvée l'inspiration ? "

                                *********

En toute modestie, mais malgré tout complètement fière de ceci. Cette histoire a fait partie des nominés  pour les Wattys 2017. Elle n'a pas été plus loin mais franchement cela fait plaisir !

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 09, 2019 ⏰

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