Le cavalier des ondées 6

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Le Vieux Lyon n'était guère fréquenté ce jour-là. On pouvait l'imputer à l'heure matinale – les échoppes ouvraient seulement – mais également à cette pluie qui fouettait le visage et traversait les traboules par bourrasques irrégulières. Depuis mon bain de minuit dans le lac des Crowfords, je n'avais pas eu l'impression d'être au sec ni au chaud. Le peu d'énergie accumulée durant ma courte nuit et une douche brûlante s'était évaporé dès que j'avais mis le pied dehors – dans une flaque, de surcroît. Je gardais la désagréable impression que le mauvais temps et la poisse de la demeure maudite s'accrochaient à mes pas, recouvrant la capitale de la quenelle d'une plaque nuageuse en décomposition incessante.

Je détestais laisser une mission inachevée. Cela arrivait parfois, mais jamais je n'en avais gardé un souvenir aussi amer. Le Service des Missions, moi-même et surtout le client possédions toutes les clés pour résoudre pacifiquement mais définitivement une affaire de meurtres qui traînait depuis trois siècles. Pourtant, c'était la manière forte qui avait été retenue, et moi, pauvre petite intérimaire sans qualification, j'avais été éjectée de la mission sans plus de formalités. Le Service allait bien se garder de me communiquer le nom du chevalier qui prendrait le relais : je risquais de le convaincre du bien-fondé de ma solution.

Je tournai à l'angle de la cathédrale St Jean et vacillai sous la force d'une bourrasque mouillée. La boutique d'artefacts n'était plus qu'à quelques pas, courage !

Je m'engouffrai sous le porche et m'ébrouai avant d'entrer dans l'échoppe. Kino, le propriétaire, avait poussé ses radiateurs à fond et je lâchai un râle de soulagement en ébouriffant ma veste, goûtant l'air chaud et sec. Les murs recouverts d'étagères me rappelèrent de bons souvenirs. Les boîtes croulaient sous le poids des talismans, sprays d'eau bénite, bocaux de limaille de fer, pierres pour tables d'invocation, munitions en argent pour toutes sortes d'armes. J'avais participé à trouver les fournisseurs de ces outils quelques années auparavant, alors que Kino cherchait un stagiaire pour l'aider à installer son commerce.

Le japonais expatrié, aussi large que haut mais en parfaite harmonie avec ses kilos en trop, me fit un signe de bienvenue depuis son comptoir ; il était occupé avec un client encore plus matinal que moi. En attendant que Kino se libère, je flânai devant les étals. Le bac « Nouveautés » vantait les qualités du nouveau filtre pour appareils photo reflex permettant de visualiser les enveloppes éthériques du corps ainsi que les chakras. Je m'en détournai et fouillai distraitement le coffret de pierres roulées, mais aucune d'entre elle ne retint mon attention. Quelque chose titillait ma concentration. Je finis par relever la tête et croiser le regard de l'homme au comptoir. Quelle andouille ! Je n'avais même pas reconnu mon ami Peurdeleau. Il me décocha un sourire ravageur et je m'approchai pour lui faire la bise. Son armure rutilante, portée par le gaillard d'un bon mètre quatre-vingt-dix au profil athlétique, dissuadait généralement le commun des mortels de l'aborder. C'était sans savoir que le kevlar gravé de runes protectrices cachait un cœur courageux et une amitié sincère.

— Albert, ça fait un bail ! Comment vas-tu ?

— Comme un ruisseau au printemps. C'est un plaisir de te voir, Miléna. J'ai croisé Agathe l'autre jour, elle m'a dit que tu avais eu affaire à un drogué psychopathe, comment ça s'est fini ?

— Oh, on a fait une tambouille de kobolds dans sa baignoire, la routine, quoi. Et toi, quoi de beau en ce moment ? Tu as enfin eu ta promotion ?

Ma dernière question avait franchi mes lèvres avec un brin de jalousie, que je savais mal placée. Albert Peurdeleau avait pour lui la renommée de sa famille ainsi que les moyens de se payer un équipement à la pointe de l'innovation ; actuellement intérimaire comme moi, il avait reçu du Bureau des Missions la promesse d'une promotion en interne pour accéder au grade d'officier chevalier sans passer le concours. Certes, il se donnait les moyens d'être au top de sa forme pour pourfendre des golems, mais il ne pouvait nier être pistonné.

Miléna, le light novel [SOUS CONTRAT]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant