Prologue

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4 juillet 2014

Robert

La journée s'annonce chaude, l'ambiance festive, le cadre choisi par ma belle-sœur idyllique. Elle a déniché, sur je ne sais quels conseils, cette colonie de vacances reconvertie en maison d'hôtes, à une trentaine de kilomètres de Bordeaux et pas très éloignée de Saint-Émilion, belle petite cité médiévale que j'envisage faire découvrir à Suzie demain.

Pour l'heure, je sirote une bière tout en suivant, amusé, une discussion animée entre mon frère, Ludovic, et un de nos cousins, Paul, qui débattent d'un sujet incontournable quand on est Bordelais : le vin. Leurs avis divergent, je le devine à la gestuelle de Ludo, et l'on pourrait croire que du sang italien coule dans ses veines tant il parle avec ses mains quand il s'énerve. Il tente de me prendre à partie alors que je passe près d'eux, mais je n'ai nulle envie d'entrer dans ce débat. De plus, j'exècre ce crétin depuis toujours, je me demande quelle idée saugrenue a eu Ludovic en le présentant à Mégane. Je ne suis donc pas étonné de l'issue de leur liaison. Meg mérite mieux qu'un compagnon imbu de lui-même qui cherche la compagnie de belles filles comme faire-valoir. Elle est, évidemment, éprouvée par ce nouvel échec, mais elle s'en remettra et rencontrera, un jour, son âme sœur.

Je cherche Suzie que je n'ai pas revu depuis que nous sommes revenus de l'église. Je me dirige vers la bâtisse, assez quelconque, qui se dresse au milieu de plusieurs hectares de vignes, mais que ses propriétaires sont parvenus à rendre accueillante en soignant la décoration des chambres, y compris celles à plusieurs couchages. Malgré le fait qu'il faille parfois partager les lieux communs tels que les salles d'eau, elle possède un certain charme et accueille la plupart du temps des groupes conséquents de séminaristes qui cherchent à marier travail et détente. J'ai aussi entendu dire que l'on pouvait participer aux vendanges durant la période de récolte.

Je scanne la foule, toujours à la recherche de ma femme. Sur le point de me rendre dans notre chambre, qui a séduit Suzie malgré son charme désuet, j'entraperçois Nick qui vient probablement d'arriver. Je suis sur le point de l'interpeller et le rejoindre quand ma mère m'intercepte, s'accrochant à mon bras.

— Mon chéri, si tu venais te joindre à nous quelques instants ? Ton père aimerait profiter de ta présence, tu nous as tellement manqué.

C'est réciproque. Depuis deux ans, il m'est impossible de leur faire face en tentant d'assumer mes mensonges. Encore moins me confier à eux, la honte et la culpabilité me rongeant toujours comme au premier jour. De plus, comment pourrais-je justifier mes hurlements lors de mes cauchemars récurrents, s'ils venaient à les entendre ? J'évite donc, depuis ce jour-là, tout séjour chez eux. Je les aime tellement que je veux les protéger de ces démons qui me hantent, mais qui tendent à s'espacer depuis mon retour à Bordeaux. J'ai donc assurément fait le bon choix en revenant chez moi.

— Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis heureuse de ta décision. Tu sais, la santé de ton père ne va pas aller en s'améliorant. Son attaque l'a beaucoup diminué et c'était très douloureux pour lui de n'avoir pas pu se rendre à ton chevet à l'époque de ton agression. Et tes visites ont été si rares. Tu as été un véritable courant d'air. Une journée par-ci, une journée par là.

Je souris à ma mère et l'embrasse tendrement sur la joue en lui emboîtant le pas tandis qu'elle glisse son bras sous le mien. Elle soupire de plaisir. L'enfant prodigue est de retour pour son plus grand bonheur et le mien.

— Comment va Nicolas ? Pauvre garçon, quel karma ! Je ne connais personne qui a vécu autant de drames à tout juste trente ans. Je suis ravie de sa présence. Je suis persuadée que son séjour lui fera le plus grand bien. Et qui sait, il pourrait rencontrer une gentille jeune fille aujourd'hui. Les célibataires ne manquent pas. Tiens, comme Meg par exemple, où une de ses amies, Florence ou Élisa, conclut-elle en faisant un petit coucou à mon amie d'enfance qui ne la voit pas.

— Bon, pas sûr que ces deux-là soient vraiment le genre de compagne qu'il lui faut. Elles sont si... délurées. Mais Meg... Ils feraient un joli couple, et cette petite mérite un gentil garçon, ajoute-t-elle, concentrée dans son raisonnement.

Elle se trompe totalement. Flo serait la candidate idéale pour Nico... pour une nuit, voire tout son séjour parmi nous. Quant à Meg, même pas en rêve ! J'espère que ma mère n'a pas en tête de jouer les entremetteuses ! Parce que Nicolas et Meg, c'est impossible. Mais je n'ai pas à m'inquiéter, ma petite sœur de cœur n'est pas son genre de fille. Et de toute manière, s'il décidait de la draguer, elle le fuirait comme la peste. Elle déteste les bad-boys. Et quels que soient les rêves de ma génitrice pour son chouchou, Nicolas, ce dernier n'envisage pas de s'engager dans une relation durable. Il ne se remet pas de la perte d'Eve et je me demande s'il y parviendra un jour. Pour ça, il faudra qu'il rencontre une femme exceptionnelle, à la hauteur de son épouse disparue. Et ce n'est pas gagné.

— Maman, laisse donc ces célibataires faire eux-mêmes leurs choix de vie. Et Nico est assez doué pour se trouver des petites amies. Quant à Meg, malgré toute l'affection que je porte à mon meilleur ami, il n'est absolument pas la personne qu'il lui faut. Il la ferait souffrir. Alors n'essaie pas de jouer les marieuses.

— Ton ami, faire du mal à Meg ? Je n'y crois pas une seconde. Nicolas est un de ces jeunes hommes particulièrement tendres et respectueux des femmes qu'il m'ait été donné de côtoyer.

— C'est toujours plus ou moins vrai, mais il a beaucoup changé depuis la disparition d'Eve. Il a ... on va dire... d'autres centres d'intérêts.

De babillages en babillages, nous retrouvons mon père dans son fauteuil roulant, installé à sa table. Je m'assieds à ses côtés. De cet endroit, j'ai une vue imprenable sur la porte d'entrée de la bâtisse ainsi que sur le bar dressé sous une tonnelle à ma droite. Chemin faisant jusqu'ici, j'ai perdu Nico des yeux, et toujours pas retrouvé ma femme.

— Tu n'aurais pas vu Suzie par hasard ? demandai-je à mon père qui n'a dû rater aucun va-et-vient vu la position stratégique de sa place.

— Si, elle vient de rejoindre Nicolas. Regarde, ils discutent au comptoir.

Je tourne la tête vers le bar et les trouve en grande discussion. Nicolas rit à ce qu'elle lui dit tandis qu'elle lisse sa chemise dans un geste bien trop intime à mon goût. J'ai beau connaître ce degré de familiarité qui les lie depuis si longtemps, et depuis quelques semaines, j'ai la certitude qu'elle a franchi un nouveau cap. Suzie porte son regard aux alentours. Je lui fais un petit signe de la main, espérant qu'elle me repère pour qu'elle nous rejoigne, mais elle ne semble pas me voir et se dirige d'un pas assuré vers la bâtisse tandis que Nicolas reste accoudé au comptoir. Mais quand il prend à son tour la direction de la maison, je comprends aussitôt qu'il va la rejoindre et devine aisément leurs projets. Je devais m'y attendre tellement elle est nerveuse et tendue depuis son arrivée à Bordeaux. Sa crise de larmes et le seul réconfort de mes bras n'ont pas suffi à apaiser son malaise. Je comprends, oui, mais la douleur n'en est pas moins là en les imaginant ensemble, Dieu sait où. Certains jours, j'ai envie de lui foutre une dérouillée dont il se souviendrait toute sa vie. Cependant, je n'en fais rien. Par amour pour Suzie et pour ce crétin que j'aime un peu trop, peut-être. Sans lui, je n'aurais pas rencontré Suzie et ne serais pas tombé fou amoureux. Ma vie n'aurait pas de sens. Pas sans elle. Elle est ma moitié et je suis la sienne, pour l'éternité. Nous ne sommes rien l'un sans l'autre.

Pas Sans Toi reédité chez So RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant