Padma

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« Après-demain, je me marie. »

C'est la pensée qui me tourne dans la tête alors que, ma mère à mes côtés, je m'assieds dans la chambre de ma tante, sur l'un des innombrables coussins qu'elle a posés par terre. La sœur de ma mère s'affaire un dernier instant à son bureau, avant de venir s'asseoir face à nous, derrière une table basse, sur laquelle elle pose un épais cahier à la couverture de cuir.

— Padma Patil, me dit-elle d'une voix sérieuse. Sais-tu pourquoi tu es ici aujourd'hui ?

« Pour combler les traditions surannées de mon ethnie », ai-je envie de répondre. Mais je suis bien élevée – et tout de même un peu excitée – alors je réplique ce que m'a appris ma mère.

— Pour choisir les motifs de henné qui orneront mon corps le jour de ma cérémonie de mariage, khaalaa-ji. Et les sortilèges qui les lieront à moi pour toute la vie que je partagerai avec mon mari.

Ma tante hoche la tête, et je sens à ma gauche ma mère laisser aller le souffle qu'elle avait retenu pendant ma réponse. J'ai l'impression d'avoir passé un test, et j'ai envie de lever les yeux au ciel.

La seule raison pour laquelle je fais cela, le grand mariage traditionnel en Inde qui dure trois jours et où tout le monde doit se déguiser comme des clowns, est que je sais que Parvati déteste l'idée encore plus que moi et que ça tuerait mon père que ses deux filles snobent les traditions de leurs origines. Alors j'ai convaincu Anthony de participer – ce qui a été relativement facile, il aime toujours un peu trop me voir vêtue d'un sari – et j'ai permis à ma mère de lancer la machine de l'organisation. Qui a duré huit mois, durant lesquels j'ai eu, Merlin soit loué, très peu de choses à faire. Jusqu'à aujourd'hui.

Le cahier posé devant moi est maintenant ouvert, et je baisse le regard sur la première image. Instantanément, j'écarquille les yeux et ma bouche s'entre-ouvre.

— C'est magnifique, murmuré-je.

Un motif floral recouvre la page. Des lianes, recouvertes de roses, de lotus, des fleurs de mangue... Je passe doucement mes doigts sur les tracés des pétales.

— Chacune des fleurs signifie quelque chose, explique ma tante, avant d'en désigner une du doigt. Le lotus représente la survie dans des environnements difficiles.

Je souris. Celle-là, elle me représente. Elle représente toute ma génération.

— La fleur de mangue, symbole de virginité.

Elle se tourne vers ma mère.

— Tu en avais sur les paumes à ton mariage, si je me souviens bien.

Un sourcil haussé, je me tourne vers ma mère, qui a la bonne grâce de rougir. Je ris, et prends note dans un coin de mon esprit : pas de fleurs de mangue pour moi.

— La rose, continue ma tante. Symbole de la fragilité, de l'enfance. La vigne, la dévotion.

Moi qui appréhendais cette rencontre, ces choix à faire, je ne vois pas les trois heures suivantes passer. Je suis absorbée par les dessins de ma tante, tous plus magnifiques et délicats les uns que les autres, et par leurs significations. Les fleurs, les animaux, les formes géométriques ; tout a un sens. En tant que Serdaigle intellectuelle, je ne voyais là qu'un lot de superstitions qui ne voulaient rien dire, mais maintenant que j'y suis, que je les ai devant moi, je veux y croire. Qu'avec une vague dessinée sur le bras, mon désir pour Anthony ne disparaîtra jamais. Qu'un octogone sur la paume nous protégera toute notre vie. Il ne me semble plus aussi difficile d'y croire.

Le soleil commence déjà sa descente vers l'horizon quand j'arrête enfin mes choix. Un cygne pour représenter mon amour pour mon fiancé ; un soleil, pour que ma soif de connaissances ne se tarisse jamais ; des vagues, pour montrer la passion qui nous lie. Je consens même à accepter une lune croissante à la base d'un de mes pouces, censé signifier que les mariés accueilleraient bientôt un nouveau-né dans leur famille.

Quand je me lève, à la fin de la séance de décision, j'ai le ventre qui grogne de faim et les jambes endormies à force d'avoir été assise si longtemps. Je souris largement à ma tante.

Bahut dhanyavaad, khaalaa-ji.

Elle hoche la tête en réponse à mes remerciements et, abandonnant son visage solennel quelques secondes, m'adresse un clin d'œil.

— Tu as hâte à après-demain ?

Je baisse les yeux vers les quelques croquis qu'elle a faits selon mes décisions, et j'ai déjà l'impression de sentir des picotements sur mes bras et mes mains, où l'encre sera posée dès demain.

Je lève la tête.

— Absolument.

MehndiWhere stories live. Discover now