Après l'Althing

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Le village était paisible. Les neiges avaient fondu le mois précédant, laissant place à de verts pâturages. L'endroit était magnifique. À l'est, le village donnait directement sur la mer. Un petit port avait été aménagé par les premiers colons Vikings. Leurs descendants en profitaient toujours, se nourrissant du produit de leur pêche. Vers l'ouest, il suffisait d'une heure de marche pour mener le bétail aux prés, en suivant un chemin de terre.

Les habitants étaient bien moins nombreux qu'habituellement : la plupart des hommes était partie pour l'Althing, en prenant la route qui menait à l'intérieur des terres. Cette réunion des chefs de clans permettrait de statuer sur une grande question qui travaillait l'Islande : quelle était la religion de ces terres ? Étaient-ils chrétiens ou attachés aux vrais dieux ?

Inge espérait beaucoup de ce vote. Elle était la première femme du godi, le chef de clan. Son époux, Radulf, allait exprimer le point de vue de son peuple : il était hors de question de plier l'échine devant un faux dieu, servi par des chrétiens qui embrigadaient les autres en utilisant la violence et en enlevant les enfants des chefs des plus grands clans. Ils en avaient longuement débattu dans le village. La peur tordait le ventre des plus jeunes. Les travailleurs itinérants leur avaient conté les supplices que les chrétiens étaient capables d'infliger. Mais Radulf était persuadé qu'ils pouvaient faire face à n'importe quelle menace.

Sa première femme n'était pas d'accord avec lui. Long était le voyage jusqu'à l'Althing, que Radulf devait déjà avoir atteint depuis plusieurs jours. En attendant son retour, le village était dépossédé de la plupart de ses guerriers, de presque la totalité de ses hommes. Le nord, l'ouest et le sud étaient protégés par une barrière de roches. Cependant, une fois celle-ci passée, ils n'avaient plus aucune défense. C'était un village de pêcheurs, pas une place forte.

Elle observait le ciel clair, priant les dieux de se faire entendre et d'inspirer du courage aux chefs de clans. Ils devaient faire face à ces Vikings chrétiens, ne pas prêter oreille aux rumeurs sur Olaf Tryggvason, le chef de guerre, et Thangbrandr, son missionnaire sanglant.

Elle entendit une course, accompagnée du bruit de bois qui s'entrechoquaient. Elle se tourna pour voir Hedda, la seconde femme de Radulf, à qui elle sourit. Elles partageaient la même maison, avaient une confiance aveugle l'une en l'autre. Hedda n'avait pas encore atteint la vingtaine d'années. Elle était jeune, fougueuse, colérique mais loyale. Elle était athlétique et forte, entraînée pour être une guerrière. Son bouclier était teint de sang d'animal pour effrayer les mauvais esprits. C'était sa hache qui frappait contre le bois quand elle courait. Hedda retira son casque, la seule protection métallique de sa tenue de cuir, pour livrer sa chevelure rousse et abondante au vent. Elle sourit à Inge :

— Des nouvelles de Radulf ?

— Aucun éclaireur ne s'est présenté. L'Althing a peut-être duré plus longtemps que prévu.

Hedda haussa les épaules. Inge avait passé ses trente hivers quelques semaines auparavant. Elle était blonde et ornait ses cheveux de bijoux. Elle était plus ronde, plus petite et trapue que la jeune femme. Elle n'était pas une combattante mais plutôt une gestionnaire, aidant Radulf à tenir le village. Il était donc normal qu'elle s'inquiète des relations diplomatiques. Hedda était plus concernée par les risques de batailles.

— C'est quand même long, ces voyages pour des grandes réunions entre chefs, commenta-t-elle.

— Oui. Et c'est à nous de faire attention à ce que le village reste paisible.

— Ils nous manque du monde pour que ça soit efficace.

— Pour les guerriers peut-être, mais l'élevage et la pêche se portent bien.

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