Kloedvd

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Souvenirs au détour d'un café

Le matin, la fraîcheur brûlante du mois de décembre, mes pas qui résonnent sur le bitume du trottoir. Ce chemin que je fais tous les matins, auquel je ne réfléchis plus.

Un petit café au coin de la rue, la devanture rouge et marron, qui rappelle des coquelicots sur une terre fertile, est très accueillante. Il n'y a personne sur les tables extérieures.. On pourrait croire que l'endroit est mort si quelques mégots de cigarettes ne fumaient pas au fond d'un cendrier noir.

Je sors les mains de mes poches pour pousser la porte en verre poli. À l'intérieur, l'atmosphère chaleureuse me décroche un bref sourire.

Je retire mon bonnet et mon écharpe et m'assois à la table en bois sombre près des baies vitrées.

Le serveur m'apporte un double expresso, je suis une habituée, il sait de quoi j'ai besoin.

La petite fille, d'à peine 6 ans, en face de moi me sort de mes pensées.

"Maman, tu te souviens comment on a découvert ce café ?

-Oui ma chérie je me souviens.

- On fuyait papa, tous les matins pour ne être là à son réveil, tous les soirs pour le revoir le plus tard possible."

Les mots me manquent. Ma petite Ana, ses cheveux bruns rattachés en arrière, me regarde de ses grands yeux verts.

"Maman, tu te souviens pourquoi tu étais couverte de bleus, du lundi au dimanche, de janvier à décembre?

-Oui ma chérie je me souviens.

-Il pensait je ne n'étais pas de lui. Il voulait que je disparaisse, pour que tu n'ai plus à t'occuper de moi, pour qu'il soit de nouveau le seul et unique centre de ta vie. Mais tu me protégeais contre ses coups."

De nouveau, aucuns mots ne sortent de ma bouche. Une boule douloureuse se formait dans le fond de ma gorge. Comment des mots si durs pouvaient sortir d'une bouche si jeune.

"Maman tu te souviens de la dernière fois où nous avons franchi la porte en verre poli de ce café, la porte de notre refuge?

-Oui ma chérie je me souviens..."

Mes yeux se ferment, durant de longues minutes, des larmes douloureuses coulent silencieusement le long de mes joues.

Quand ils s'ouvrent de nouveaux Ana a disparu. Des coups de feu envahissent soudainement ma tête. Ils ne s'arrêtent pas, martelant mes tempes tel un marteau fracassant mon crâne.

Je me lève brusquement, laisse quelques pièces de monnaie à côté de ma tasse encore pleine.

Le matin, la fraîcheur brûlante du mois de décembre, mes pas qui résonnent sur le bitume du trottoir. Ce chemin que je fais tout les matins, auquel je ne réfléchis plus.

Le petit café du coin de la rue, la devanture rouge et marron rappelant la terre humide au moment où le soleil nous abandonne, me paraît effrayante.

Je cours à en perdre haleine. Je pousse de grandes grilles sombres. Il n'est pas encore l'heure mais je suis une habituée, le gardien sait de quoi j'ai besoin.

Je slalome à travers les pierre jusqu'à ce que je m'arrête net. Une pierre tombale, sa pierre tombale.

Ana

2010-2016

Les coups de feu cessent, mon esprit se téléporte jusqu'au petit café du coin de la rue.

Nous y somme réfugiées avec ma petite fille Ana. La porte en verre s'ouvre brusquement : mon mari, armé d'un vieux fusil de chasse. Ana est sa proie, il ne lui faut qu'un seul tir pour l'atteindre en plein coeur. Je n'ai pas eu le temps de la tirer en arrière, de la protéger, de la sauver. Son petit corps gît dans mes bras tachés de sang et de café.

De retour sur sa tombe, mon esprit abandonne. Le métal froid contre ma tempe. Un dernier coup de feu.

Le cimetière, le gardien trop concentré sur le match à la radio, la fraîcheur brûlante du matin d'un mois de décembre, le bitume du trottoir silencieux.

Le petit café au coin de la rue, la devanture rouge et marron, qui rappelle la boue d'un cimetière et le sang d'une mère battue qui rejoint sa fille qui lui a lâchement été arrachée.

Concours de Noël 2016Where stories live. Discover now