II

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II

      La voiture roulait sur une route enrobée de pluie. Le goudron gémissait et les cailloux s'éparpillaient sous nos roues. Je ne les voyais pas, mais je les devinais rien qu'en fermant les yeux. Puis, quand je les ouvrais à nouveau, je surprenais des enfants ravis, riant au cœur de l'effervescence en ce jour unique. C'était la fête des morts. Cela ne semblait certes point festif dit ainsi, néanmoins, elle était sacrée. Chaque année, depuis ma plus tendre enfance, ma famille pliait bagages et embarquait pour la campagne. Chaque année nous retrouvions ces proches que nous ne voyions que très rarement chez une grande tante, vivant esseulée dans un village de pierre et de bois. Les forêts alentour n'étaient que sapins et conifères, chênes et peupliers. Les plaines n'étaient que silence et courbes adorables. Depuis toujours, je ne désirais qu'embrasser les paysages muets de nos courtes vacances. Et ce jour-là, dans la large voiture, ma famille chantait par dessus la radio. Mon aîné de deux ans, rentré récemment de ses voyages en Europe du nord, jouait aux cartes avec mes deux sœurs cadettes, lançant son jeu avec indifférence par dessus les sièges et leurs tignasses brunes. Le plus jeune de la fratrie, à peine âgé de sept ans, lisait les pages de mon livre, le menton calé sur mon avant-bras. Ma mère conduisait. Mon père amusait la galerie. Les années passaient et rien ne changeait. Nous étions, autant que je puisse le dire, heureux.

      Défilant à ma droite, les arbres me souriaient, me rappelaient des vieilles promesses. En effet, par deux fois, je n'avais pu assister à notre réunion campagnarde. Deux années de travail intense qui m'avaient amputé de beaux et importants moments. Cependant cette fois-ci j'y retournais, j'y étais presque. Je m'approchais de lui.

       La maison de ma tante était un condensé d'étages farfelus et de pièces incohérentes. Les vastes couloirs, les portes indiscernables, le jardin immense. Ces lieux étaient mon sanctuaire, le tombeau de tant de souvenirs. Le séjour, lui, n'était que discussions vives, fous rire et festins. Puis, pendant une après-midi, nous visitions les tombes de nos ancêtres, racontions leurs histoires, tous assis dans le salon antique. Et nous prions pour leur passé, prêchions pour notre avenir. Il s'agissait de l'union de nos esprit si différents.

       Le premier soir, alors que je traînais seul le long de l'allée reliant la véranda à la cuisine, faisant glisser mes doigts sur la rampe des escaliers, les réminiscences firent leur entrée. Soudain, je me suis mis à espérer. Espérer que nos souhaits pouvaient toujours être exaucés, malgré les années s'étant déroulées dans l'absence et le vide. Alors je commençais à penser plus, à rêver plus, comme à mon habitude. On me disait dans la lune, peu bavard et anticonformiste. J'étais ce que j'étais. Et tandis que tous veillaient sur moi en ces après-midi froides, je me sentais accepté, quoi qu'il advienne.

       Le troisième jour, je ne l'oublierais jamais. Alors que, suite à une soirée bavarde et tardive, toute la maisonnée profitait du repos, je me baladais entre les murs ensevelis sous le passé. Posant un pied nu à l'extérieur, je sentis mon corps enveloppé dans les bras du vent glacial. Le ciel d'un bleu très clair, l'herbe rosée en bas de la terrasse, les feuilles mortes s'éparpillant depuis le bosquet d'arbres, tout m'inspirait plénitude et repos. Je me suis donc installé sur une des chaises, ai allumé le vieux poste de radio. « L'Automne », de Vivaldi emplit mes oreilles satisfaites. Je me laissais choir dans l'attente du jour nouveau. Droit devant moi, suivant le chemin de terre d'un parc voisin à notre terrain, je remarquais un détail nouveau de mes pupilles endormies. Une bicyclette blanche, au siège et au guidon beige. Aussitôt le détail incongru était devenu un élément familier. Mon cœur s'emballait. Mes joues rosées s'enflammaient d'impatience. Instantanément je quittai mon siège pour enfiler mes chaussure dans le vestibule.

     Et, marchant fièrement entre les bouffées et les feuilles, je m'aventurais vers mon destin.

Autumn - TaeKookWhere stories live. Discover now