Là-dessus, j'étais bien d'accord.

La fatigue, la colère, et le fait que je m'en voulais de ne pas avoir été présent lors de l'attaque de mon père. Je maudissais aussi les professeurs et ce satané jeu de cartes.

Je suis resté un moment le front et les paumes collés à mon vestiaire, puis j'ai enfilé mes vêtements sans même prendre une douche.

J'avais juste verrouillé le cadenas lorsque Ray a fait irruption.

Ses cheveux blonds étaient collés à son front, et il était rouge pivoine. Mais c'est surtout son regard noir et la tension sur son visage que j'ai remarqués.

— Hey ! tu crois que tu vas t'en sortir comme ça, que tu peux me frapper avec une balle et t'en tirer à bon compte, microbe ?

Ray obstruait désormais la sortie des vestiaires. Il serrait les poings, ses yeux semblaient prêts à sortir de leurs orbites tant son visage était gonflé de colère.

— J'ai pas fait exprès, ai-je lâché, plus exaspéré qu'apeuré.

— Et tu crois que je vais gober ça, microbe ?

— Franchement Ray, je m'en fous que tu ne me croies pas. Laisse-moi passer maintenant.

Mais Ray n'a pas bougé. Au moment où je me suis approché de la porte, il a fait un pas en avant et m'a repoussé. J'ai titubé, mais je suis resté debout.

— On est seul ici, n'espère pas t'échapper, a grogné Ray.

C'était la goutte de trop. L'accumulation de rage a explosé en moi comme un volcan en éruption. Le jeu l'a ressenti.

(Punis-le !)

J'ai serré les dents. Oui. Ray allait payer.

Ce sale gamin aux cheveux gras avec son air supérieur et son rire de cochon allait payer... et cela valait bien trois jours de grippe.

(Oui, montre-lui qui est le microbe !)

Devant les yeux incrédules de Ray, j'ai ouvert mon sac et sorti mon jeu.

— À quoi tu joues ?

— Tu vas pas tarder à le savoir... microbe, ai-je dit avec un sourire mauvais.

Je me suis concentré et j'ai sorti la carte de mon jeu, puis je l'ai brandi

Aspiration mentale !, ai-je hurlé.

Le garçon m'a d'abord regardé comme si j'avais un mauvais comique dans un one man show.

Mais en moins d'une seconde, j'ai forcé la tête de Ray et y ai imposé ma volonté. Il était si faible, si vulnérable, en cet instant. C'était presque trop facile. Son esprit était comme de l'argile que je pétrissais entre mes mains. J'ai poussé davantage et me suis enfoncé plus loin, au cœur de sa mémoire et de ses pensées. Je pouvais éprouver, voir et ressentir ses joies, ses peurs.

Tout s'est passé vite, comme dans un film en accéléré. Je l'ai vu à trois ans tomber d'un toboggan et pleurer comme une fillette. Puis, plus tard, se prendre une volée par son père à neuf ans, car il avait fait tomber sa crème glacée sur le tapis persan de la grand-mère. J'ai assisté aux remontrances de sa mère alors qu'il avait uriné dans son lit. Puis, j'ai eu accès à tout ; à ses amours secrets, ses sentiments, ses désirs obscurs... Pire je sentais que je pouvais altérer ses souvenirs, changer la configuration de ses pensées, le manipuler, en faire ma marionnette.

(Il est à ta portée, fait en ce que tu veux, il le mérite ce lourdaud)

Était-ce donc cela qu'avait fait Misclane ?

Le pouvoir me donnait le vertige, mais je n'étais pas ivre. Ma colère était retombée et je me sentais sale d'avoir eu recours à ce sortilège.

— Non, ai-je dit à haute voix, non, je ne peux pas... je ne veux pas faire ça.

Et je me suis retiré, aussi facilement qu'un couteau chauffé aurait pénétré une motte de beurre.

(Comme tu veux, mais le prix reste le même)

J'étais haletant, mon corps était sous tension et mes cheveux étaient collés par la sueur.

Devant moi, Ray était recroquevillé sur lui même. Il pleurait et hoquetait. La violence de cet assaut mental l'avait ébranlé.

Il s'est redressé et m'a regardé. Ses yeux chargés autant de peur que de dégoût.

— Pourquoi t'a fait ça... qui es-tu ?

La question m'a frappé au cœur. Oui. Qu'avais-je fait ?

(Tu n'as rien fait de mal, il l'a mérité...)

Mérité ? Peut-être, mais pas au point de se voir infliger ceci. J'étais horrifié.

Léopard m'avait pourtant prévenu. Il était clair que le jeu prenait de l'ascendant sur moi. Le pire c'est que cette sensation, ce pouvoir que j'avais eu sur lui, m'avait procuré de la satisfaction. Non pire que cela, du plaisir.

— Pourquoi ? a répété Ray.

Mais il se parlait à lui même ; la question n'avait pas de réel destinataire.

Je suis resté immobile devant un Ray secoué par les sanglots. Pourquoi, oui ? Pourquoi avais-je cédé et infligé cette épreuve a une personne alors que je l'avais pourtant subie ?

— Je... je suis désolé...

C'est tout ce que j'ai trouvé à dire.

J'ai pris mes affaires et je suis parti sans me retourner.

Ce jeu était maudit, il me poussait à faire des choses. Pourtant » il était aussi la clé qui me permettrait de sauver mon père, guérir Scotty et protéger ma famille.

J'ai couru sans m'arrêter à travers le gymnase et dans la cour, jusqu'à l'arrêt de bus

J'avais pris ma décision. Le jeu devenait bien trop puissant, je le sentais grandir et fusionner avec mon esprit, et je me sentais trop faible pour y résister. Je ne pouvais pas m'en débarrasser, j'en avais besoin. Alors, il me fallait apprendre à le maîtriser, à prendre l'ascendant sur le jeu, plutôt que se laisser dominer par lui. Et je ne connaissais qu'une personne qui pourrait m'aider à le faire. Cette personne n'était pas de ce monde.

Ce soir, j'allais utiliser la carte du portail.

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⏰ Last updated: Sep 04, 2016 ⏰

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