Chapitre 27

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Téo

Ce matin-là, l'ambiance dans la taverne d'Okaasan avait quelque chose de particulier. Evan et Téo mâchonnaient leur petit déjeuné en silence, chacun dans un coin à observer attentivement tout ce qui se trouvait à portée de regard. Rapidement, Téo reposa l'espèce de galette sans saveur qu'il avait confectionnée et cuite la veille au soir. Il avait l'estomac noué. D'ici quelques heures, ils seraient peut-être en train de voguer sur les flots, vers l'inconnu. Peut-être vers une mort certaine. Ses yeux se posèrent sur son amant qui lui aussi avait laissé la nourriture de côté. Ils se dévisagèrent un long moment sans rien dire avant de se sourire timidement et de sortir de l'endroit, toujours dans le silence le plus total. La ligresse qui avait exceptionnellement passé la nuit dehors leur emboîta aussitôt le pas, restant pourtant en retrait. Sentait-elle qu'ils voulaient partir ? Téo n'en doutait pas une seconde...

Après quelques pas, il sentit la main fraîche d'Evan se glisser dans la sienne. Elle lui procura le plus grand bien. Tant que cet adolescent boudeur, mais charmant restait à ses côtés, il se sentait capable de tout. Ce qui, par malheur, n'empêchait pas une peur insidieuse de se nicher au creux de son ventre. Et en arrivant en vue de la plage, il fut submergé par cette peur. Dans quoi s'embarquaient-ils donc ? Allaient-ils seulement survivre à cette épreuve ? L'île les laisserait-elle fuir aussi « facilement » ? Il ferma les yeux, se laissant presque traîner sur le sable par son amant. Il n'osait les ouvrir, s'attendant presque à trouver leur embarcation réduite en miettes, mais il n'en fut rien. Elle était toujours là, au même endroit où ils l'avaient laissée la veille, attendant patiemment d'être mise à flot. Pourtant, il n'en fut pas soulagé. L'angoisse sourde qui lui nouait les entrailles augmentait à mesure que les minutes défilaient, et il devinait à la moiteur de la main de son compagnon que celui-ci partageait son anxiété. Ce qui lui fut bientôt confirmé de vive voix.

– Et si on coulait avant même de quitter l'île ?

– On... nagera jusqu'ici. Et on recommencera. On est déjà tombé à l'eau une fois, non ?

– Ouais. C'est vrai. Mais après, si on s'enfuit et que personne ne vient nous secourir ? On va crever de faim et de soif sur notre foutu radeau ! »

Il ne pouvait nier qu'il se posait les mêmes questions, néanmoins il refusait de laisser la panique les envahir tous les deux.

– Evan, si on commence avec ça, on partira jamais. On en a déjà parlé, on ne peut pas rester ici. Pour la faim et la soif... reste à espérer que nos petites réserves coulent pas. Et qu'on soit vite secouru. Allez viens, advienne que pourra.

– Ouais, tant qu'on est ensemble, on peut tout faire.

Evan releva la tête pour le regarder d'un air bravache, sans parvenir à empêcher sa lèvre inférieure de trembler. Sans parler de ses doigts humides ; ils ne parvenaient pas à défaire le nœud qui retenait le radeau à une étrange racine à fleur de sable. Téo ferma les yeux un moment, prit plusieurs profondes inspirations. Il avait toujours aimé cette odeur auparavant, une odeur de sel, d'algue et d'embrun. Sa mère était une grande fan de yoga sur la plage et, bien qu'il n'ait jamais participé aux séances, il l'accompagnait et s'installait à ses côtés pour lire un livre dans un état proche de la béatitude. Quand il se sentit serein, il battit des paupières, posa ses mains sur celle d'Evan afin de stopper les gestes maladroits et infructueux du jeune homme. Celui-ci leva les yeux vers lui. Ensemble, ils défirent le cordage avant de pousser l'embarcation dans les flots. Lorsque l'eau atteignit ses genoux, Téo se tourna vers la ligresse, laquelle les observait depuis la plage.

– Tu viens ma belle ?

Mal à l'aise, il ne savait pas trop s'il devait poser la question ou non. En réalité, il se doutait de la « réponse » silencieuse que lui ferait Okaasan, et comme il s'y attendait, elle resta assise là ou elle était, sans bouger d'un poil, sans émettre le moindre son. Il en avait le cœur serré, mais il ne pouvait décemment pas forcer l'animal à les suivre. Il n'était même pas sûr d'en avoir réellement envie. Quel avenir aurait-elle avec eux ? Cette question le hantait depuis des jours, mais même en se doutant qu'elle resterait là, cela ne l'empêchait pas d'avoir le cœur serré à l'idée de ne plus jamais voir cette adorable compagne. Un raclement de gorge le sortit de ses pensées et il recommença à pousser le radeau, aidé d'un Evan remonté à bloc. La plage descendait en pente douce, les vagues venaient caresser mollement le sable, le ciel était bleu azur, tout semblait se dérouler à la perfection jusqu'à ce qu'Evan pousse un hurlement de douleur et ne s'effondre dans l'eau en se tenant le pied.

L'île maléfique (BxB) (WATTYS 2016, trésor caché)Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora