Prologue

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Elizabeth de Beaurivage tripotait machinalement une médaille en fer entre ses doigts. Sa mère, Madeline de Beaurivage née Clarkshill la regardait l'air mécontent mais la petite ne cessait pas pour autant de triturer la médaille.
Elle repensait à ses adieux avec Elijah dans un coin de la plantation, cachés dans les fourrées. Le petit garçon lui avait demandé:
《Alors c'est vrai que tu t'en vas? Pour combien de temps?
- Je vais aller chez ma tante Jane, je n'en sais pas plus. Mais je sais que nous nous reverrons un jour.
- J'aimerais que tu ais ça, ma médaille de baptême, mon bien le plus précieux. De cette manière tu ne m'oublieras pas.
- Ne dis pas de sottises! Tu es mon meilleur ami ET mon fiancé!
- Tu te feras d'autres amis à Charleston, mais si tu pouvais m'écrire se serait bien.
- Tu ne sais pas lire!
- Old John m'apprend, en échange je lui lave ses habits et lui cire ses chaussures.》

Elijah était le meilleur ami d'Elizabeth mais elle se gardait bien de le dire à qui que ce soit. Leur puissant lien était un secret, seule Mama Lou' était au courant. Mama Lou' était une esclave qui avait la quarantaine, elle fût la nourrice d'Elizabeth et étant la mère d'Elijah les deux enfants très vite se rapprochèrent à force de se fréquenter constamment. Mama Lou' les trouvait mignons, Elizabeth ignorair la condition d'Elijah et ce dernier ne la regardait pas comme les autres esclaves, avec crainte et respect. Non, il la regardait comme un enfant regarde son ami, d'égal à égal.

À cinq ans les deux petits allaient en cuisine pour voler des pâtisseries, Elizabeth distrayait la cuisinière tandis qu'Elijah s'emplissait les poches de gâteaux. Ils les partageaient, cachés derrière un chêne en gloussant, les joues barbouillées de confiture.
À sept ans, Elizabeth échappait à sa préceptrice pour retrouver son ami et tout deux parcourait la forêt du domaine. En riant, ils couraient après les dindons sauvages et se lançaient des défis. Le défi qu'Elijah aimait le mieux lancer à son amie c'était de mettre de la mousse espagnole sur la tête. C'était strictement défendu, car ces amas de mousses qui pendaient des arbres et traînaient par terre regorgeaient d'aoûtats et d'autres insectes dont il était peu aisé de se débarrasser. Dans ces moments là les yeux d'Elizabeth brillait tandis qu'elle bravait l'interdit avec une candeur remarquable. Une fois coiffée elle toisait son ami et lui disait "même pas peur!" en lui tirant la langue.
À dix ans, les deux petits s'aventuraient plus loin dans le domaine et cachés dans les fourrées ils jouaient à l'institutrice ou aux mariés. Elizabeth se mettait des fleurs des champs dans les cheveux et avançait avec un bouquet constitué de fougères. C'est lors d'une de ces parties du jeu des mariés qu'Elijah se mit à genoux, comme il avait vu Tom faire pour Rose il y a une semaine, il prit la main d'Elizabeth.
《Elizabeth Mary Madeline de Beaurivage, acceptez-vous de m'épouser plus tard, lorsque j'aurais assez d'argent pour subsister?》

La petite fille avait hoché la tête en disant qu'elle acceptait avec joie et il lui avait fait le baisemain. Ce geste intime avait fait rêver la petite fille des nuits durant.
Et voilà qu'à douze ans on les séparait, deux enfants au coeur pur et à l'esprit immaculé des préceptes des Hommes.

Après le départ d'Elizabeth le responsable du coton était venu dans la minuscule cabine de la famille d'Elijah. Il avait tâté les biceps du garçon sous le regard horrifié de Mama Lou'.
《C'est un jeune homme en pleine forme que vous avez là! Il commence dans deux jours.》

Le cri de Mama Lou' déchira l'atmosphère, son petit! Son tout petit allait devoir travailler!

Elizabeth ignorait cela, elle pensait que son ami continuait sa vie paisiblement et qu'à son retour il serait là, avec une vraie bague en or et un sac emplit d'argent.
《Elizabeth, veuillez arrêter de triturer cette médaille. Vous allez me rendre folle.》

La voix de Mrs de Beaurivage était froide, l'enfant savait que sa mère ne plaisantait pas et rangea la médaille dans son petit sac de voyage.
《Mère pourquoi m'envoyer à Charleston? C'est si loin!
- Votre père voulait vous envoyer en France chez sa vieille tante afin de parfaire votre éducation. Estimez-vous heureuse d'être à Charleston et point sur un autre continent.
- Oui mère., la fillette baisse les yeux.》

Le paysage défilait, la diligence traversait des champs de coton où des esclaves travaillaient, surveillés par un homme avec un fouet dans la main et tenant un chien de l'autre. Les esclaves évoluaient lentement, leurs épaules ployant sous la fatigue et la rudesse du travail. Mrs de Beaurivage regardait tout cela d'un air impassible, pour elle, c'était tout ce qu'il y avait de plus normal, des Hommes exploitant des Hommes. Elle était née dans une plantation et mourrait dans une plantation. Son destin était tout tracé depuis sa naissance et il en allait de même pour sa fille.

 L'esclave qui osa aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant