9- Caleigh

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Il me faut 15 minutes pour arriver dans l'Upper East Side en taxi. Mes parents habitent une de ces maisons en grès rouge, sur la 64e rue entre Madison et Park Avenue. Je paye ma course et descends du taxi puis monte les escaliers qui mènent à la porte d'entrée. Je n'ai même pas le temps de sonner que Madame Stevenson ouvre la porte, un sourire chaleureux aux lèvres. Aussitôt je la prends dans mes bras. C'est une petite bonne femme âgée de soixante-dix ans, les cheveux gris et le visage avenant. Plus alerte que son âge ne laisserait supposer, il se reflète dans ses yeux une grande douceur et une bonne dose d'humour. J'aime beaucoup cette vieille dame, elle s'est occupée de ma sœur et moi lorsque nous étions petites. Aujourd'hui même si elle continue de travailler pour mes parents, à mes yeux elle est plus un membre de la famille qu'une gouvernante. D'ailleurs, depuis le décès de son mari et le départ de leurs enfants, elle vit à l'étage où ma sœur et moi avions nos chambres.

— Ah ! Comme je suis contente de te voir, ma petite Caleigh !

— Moi aussi, Madame Stevenson...

— Quand vas-tu cesser de m'appeler Madame Stevenson ? Je t'ai déjà dit que j'ai un prénom ! me gronde-t-elle gentiment en me faisant entrer dans la maison.

— Vous vous joignez à nous pour le brunch ? demandé-je en retirant mon manteau.

Je proteste lorsqu'elle essaye de me le prendre des mains, je suis assez grande pour accrocher mon manteau à la patère moi-même !

— Caleigh, laisse-moi faire s'il te plaît, bougonne-t-elle.

— Vous avez assez de travail comme ça...

— J'ai beau m'occuper de cette maison, depuis que ta sœur et toi êtes parties, j'ai l'impression d'être inutile.

Je me fige, surprise. Jusque-là je n'avais pas pris conscience qu'elle pouvait se sentir désœuvrée. Je réprime un haussement d'épaules. Si ça peut lui faire plaisir, autant lui donner mon manteau.

— Alors, insisté-je, vous n'avez pas répondu à ma question. Êtes-vous des nôtres pour le brunch ?

— Bien sûr ! Je n'allais pas manquer ça ! Et comment va ta sœur, tu as eu de ses nouvelles ?

— Justement il faut que j'en parle à mes parents. Est-ce qu'ils sont dans la salle de petit-déjeuner ?

— Oui, ils t'attendent.

Je jette un regard interrogateur à Madame Stevenson et vérifie l'heure sur l'écran de mon smartphone. Il est 9 h 30, je ne suis pourtant pas en retard. La gouvernante secoue la tête de droite à gauche et soupire.

— Oui je sais, tu es pile à l'heure. Mais ta mère a insisté...

D'accord, je comprends mieux maintenant. Si mère a décidé qu'il était plus judicieux de m'attendre...

Madame Stevenson m'adresse un clin d'œil avant de me précéder dans le petit salon. Dès que j'y entre, mon père se lève pour m'accueillir avec une étreinte. Il ne prononce pas un mot, ce n'est pas nécessaire, je sais à sa façon de me serrer dans ses bras qu'il est heureux de ma venue.

Larry Valiant est un homme assez pudique concernant ses émotions. Il parle peu et va toujours à l'essentiel, comme quand il officie au bloc opératoire. Mon père écoute, observe et seulement après, il parle. C'est l'homme le plus sage que je connaisse et, à mes yeux, ses conseils sont précieux.

Après un dernier sourire, il retourne à sa place. Je dois ensuite poursuivre le « protocole » : aller vers mère et la saluer – de loin, comme d'habitude. Pas d'effusion, elle n'aime pas cela. Pour quelqu'un d'extérieur à notre famille, notre comportement pourrait paraître étrange et, j'en conviens, c'est vrai qu'il est loin d'être chaleureux. Et pourtant, même si nos retrouvailles tiennent plus d'une chorégraphie soigneusement millimétrée, où la surprise n'a pas sa place, nous nous aimons, c'est certain.

A tes souhaitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant