chapitre 5

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Appuyé contre le réverbère, Kier songeait à l'étrange scène dont il avait été témoin entre Jemma et Célia, avant qu'elles ne le reconnaissent. Il n'aimait guère se mêler des affaires des mortels, d'ailleurs, il se fichait pas mal de leurs problèmes et avait déjà assez d'emmerdements avec le déchu pour se prendre la tête avec un être aussi insignifiant que cette mortelle horripilante.

En outre, il était plus qu'agacé par la vigueur avec laquelle, elle le rejetait tandis que scintillait une lueur de mépris dans ses prunelles vairons. Non, décidément un truc clochait chez lui et il détestait avoir la sensation de perdre le contrôle de son esprit. C'était la seule chose sur laquelle il avait encore un semblant de maîtrise, alors bon sang, il refusait que cette fille lui retourne le cerveau.

Il devait impérativement remédier à cette situation, or il ne connaissait qu'un moyen rapide et efficace de retrouver sa quiétude : supprimer l'obstacle qui le gênait, en occurrence, Jemma. Elle ne serait pas la première mortelle qu'il exécuterait, seulement, elle serait la première et sans aucun doute la dernière qui serait parvenue à lui faire éprouver un peu de regret.

Nom de dieu ! Voilà qu'il se souciait d'elle maintenant ! Mon pauvre Kier, tu es devenu complètement marteau, rumina-t-il en marchant d'un pas nonchalant le long de Hope Street. Machinalement, il tourna à droite au bout de la rue en direction de WestGorge Lane tandis que ses pensées vagabondaient à mesures que ses pas le conduisaient directement vers St Vincent Street.

Tel un automate, il marchait, guidé par un sentiment étrange qui faisait naître en lui, une sensation oubliée depuis des siècles : la panique. Lui le démon imperturbable, l'écorcheur d'âme, l'assassin que le déchu envoyait pour exécuter les contrats les plus importants ressentait de la...panique. Il n'irait pas jusqu'à dire de la peur, puisqu'il ignorait tout de ce sentiment typiquement mortel, en revanche, il se sentait anormal.

Il fréquentait depuis trop de siècle les mortels. Voilà ce qui en résultait ! A force de vivre parmi eux, d'adopter leur mode de vie et surtout d'en aimer certains aspect, le faisait naturellement déraillé. Il devait reprendre le contrôle. Il ne voulait absolument pas finir entre les pattes de Gyor. Le cauchemar de n'importe quel démon.

Comparé à Gyor, il faisait office d'enfant de coeur, du moins en Enfer. Les « en sursis » ne savaient pas ce qui les attendaient une fois que la mort viendrait les faucher pour les conduire à Gyor et finalement, c'était préférable sinon le patron n'obtiendrait plus jamais une seule âme. Rien, pas même la richesse, la réussite sociale, la beauté ni même la vengeance ne valait de vendre son âme et de croupir éternellement chez Gyor en découvrant chaque jour que le mot souffrance pouvait se décliner à l'infini.

Il avait eu l'occasion d'en faire les frais...Et ses souvenirs là étaient indélébiles, gravés à jamais dans sa mémoire...comme dans sa chair. De même, la simple évocation de Gyor suffisait à le faire tressaillir. Le voir était une autre histoire. Lorsqu'il conduisait les âmes chez ce tortionnaire psychopathe, ce dernier prenait un malin plaisir à lui rappeler leurs heures de divertissement. Certes, il avait appris grâce à lui l'art et la manière de torturer, d'ailleurs les prêtres de l'Inquisition en aurait pâli de jalousie. Un démon devait être cruel, sadique et surtout il devait adorer torturer de pauvres âmes et pourtant.... Il détestait ça. Non pas parce qu'il ressentait de la pitié pour les âmes dont il devait s'occuper, mais parce qu'il avait horreur d'entendre la voix pleine d'orgueil de son fumier de géniteur s'infiltrer dans son esprit.

Avoue, tu aimes ça, fiston. Tu aimes sentir la crainte que tu leurs inspires, les entendre te supplier de les épargner. Tu aimes leurs cris de souffrances, la sensation de tenir leurs âmes dans le creux de ta main. C'était ton destin de devenir un démon, tu as toujours eu la cruauté dans le sang, fiston.

Sombres Héritages-6 En PauseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant