— Alors ? Tu prends toujours le taxi ?

— Je n'ai pas envie de te déranger, Sasha, réponds-je dans un soupir. Et puis, c'est toujours la galère la route vers LA, on va passer au moins deux heures dans les embouteillages...

— Oui mais c'est plus sympa avec ta sœur au volant, affirme-t-elle d'un ton docte.

— Parle pour toi ! Je dois subir tes hurlements...

— Comment ça, mes hurlements ? s'écrie-t-elle, faussement scandalisée. Je ne crie pas, je chante, moi, Madame.

Si seulement c'était vrai ! Au moins à New York, même si ma sœur me manque, je ne l'entends pas massacrer – avec une joie manifeste – tout ce qui ressemble de près ou de loin à une chanson, hymne national et jingle pubs compris. La laisser faire, c'est s'assurer un saignement des oreilles. Sorti de cela, elle y met du cœur, malheureusement tellement que je suis sûre que même l'enfer lui refuserait l'entrée, tant le châtiment dépasse l'entendement. C'est humainement insoutenable et encore, le mot est faible, au point que lorsque nous étions plus jeunes, je l'avais menacée d'écrire une lettre au congrès avec assez de signatures pour la faire condamner pour assassinat musical. J'avais quinze ans, elle en avait dix-huit, bien évidemment, elle ne m'a pas prise au sérieux.

Sasha et moi nous étions toujours plus ou moins entendues de cette manière : elle était la grande sœur parfaite et moi, j'étais la peau de vache. Je crois que je lui ai joué tous les tours possibles et imaginables, de la poupée décapitée et artistiquement remaquillée à la lecture de passages de son journal intime. Sasha a tout supporté sans rien dire, avec moi, elle montrait des trésors de patience. À part cette fois où, parce que j'étais triste d'avoir lu dans son carnet secret qu'elle partait à l'autre bout du pays, j'avais laissé notre chat pisser dans ses chaussures préférées et planqué sa lettre d'admission. Là, après avoir paniqué et retourné la totalité des pièces de notre étage pour mettre la main sur son précieux sésame, elle m'avait dit que j'avais été adoptée.

D'après elle, nos parents m'avaient trouvée devant l'église et j'étais tellement laide que même les sœurs n'avaient pas voulu de moi, ajoutant ensuite que papa et maman avaient voulu faire une bonne action en offrant un toit à une indigente comme moi. Si je voulais une preuve, je n'avais qu'à me regarder dans le miroir. Elle m'avait sorti ça d'une voix calme, sans sourciller. Elle avait été tellement convaincante, que j'avais cru à son histoire. Après tout, nous ne nous ressemblons pas. Bien entendu, je l'avais mal pris et avais fait un scandale à nos parents. Ce jour-là, je leur avais appris sans le vouloir que Sasha partait étudier la médecine en Californie. Une sacrée bourde. Elle comptait leur en parler au dernier moment, de manière à éviter une crise de la part de notre mère, mais j'avais mis les pieds dans le plat.

Pendant une semaine Sasha et moi ne nous étions pas adressées la parole pour autre chose que la question du lait dans les céréales. Et puis elle avait fait le premier pas. C'était toujours elle qui faisait ça, c'était sa façon de faire, elle voulait toujours que les choses aillent pour le mieux. Sasha est celle qui arrange tout, de toute façon et je crois que ça ne changera jamais. C'est son truc, ça, que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Paix et Amour, il y a assez de tucs moches dans le monde. Et donc, ce jour-là elle s'était excusée de m'avoir dit des horreurs, je lui avais demandé pardon pour avoir causé des problèmes avec les parents et pour toutes les autres vacheries que j'avais pu lui faire. Nous sommes redevenues les meilleures amies de tout l'univers.

— Ça m'énerve que tu doives repartir si vite, m'avoue-t-elle soudain. On pourrait faire tellement plus de choses si tu habitais San Francisco. Tu es sûre que tu ne peux pas rester ?

— Sasha, je dois retourner à la fac après demain et puis il y a ce stage au MoMA. C'est une opportunité que je ne peux pas laisser échapper.

Elle se retourne et ouvre un des tiroirs sous le plan de travail, en retire une pile de dépliants et les pose devant moi.

A tes souhaitsWhere stories live. Discover now