Chapitre 3 : Ana

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Ana et moi, on s'est rencontré au collège, en sixième, le premier jour. J'étais petite, paumée et timide. A la première récré,j'avais collé mon cul sur un banc et bien décidée à ne pas y bouger. Mes camarades semblaient déjà se connaître, et je sentais que les clans étaient formés par avance. Les pin-up s'échangeait leurs numéros, les beaux gosses mataient les formes précoces de  quelques rares élues, et les poètes torturés dévisageaient tout le monde d'un air tragique, secouant leurs longs cheveux gras en bataille avec une mélancolie feinte. Enfin, il y avait nous, les quelques rares brebis égarées dispersées par-ci par-là, l'air perdues et légèrement paniquées, sentant l'étau se resserrer autour de notre cou.

J'étais persuadée que j'allais rester ainsi seule jusqu'à la fin de ma scolarité, mais comme par miracle, je vis une fille de ma classe se diriger à petits pas vers moi. Je ne l'avais même pas remarqué.Durant tout le long du cour, elle n'avait pas dit un mot et semblait légèrement en retrait.. Elle seule me paraissait coller dans aucun profil stéréotypé. Sur le moment, je me demandais comment je n'avais pas pu la remarquer: ses cheveux, incroyablement bouclés et couleur noisette étaient si volumineux qu'ils formaient une sorte d'auréole qui déborderait d'un peu partout ; et cette crinière sauvage indomptable contrastait avec sa peau très pâle et ses yeux couleur gris souris. Elle semblait débarquer d'une autre dimension ou d'un conte un peu fou qu'on lirait à des petits enfants. Elle me fit immédiatement penser à une petite fée qui se serait perdue sur notre planète.  Seul son blouson noir, un brin élimé,  la ramenait au rang de nous autres communs des mortels. Lorsqu'elle arriva à ma hauteur et que je due baisser les yeux pour voir son visage, je remarquai à quelle point elle était petite. Elle était toute maigrichonne, mais son regard débordait d'une assurance que je lui enviait déjà. Très posément mais un peu gênée, elle se hissa sur le banc, et, tout en balançant nerveusement ses pieds dans le vide, elle me dit sans me regarder:

-T'es nouvelle?

Ma timidité légendaire m'empêcha de complimenter sa perspicacité et son sens de l'observation. Un ange passa. Ni elle ni moi ne souhaitions engager la conversation,alors nous restâmes toutes les deux assises cotes-à-cotes, laissant un silence poli, mais pas désagréable, s'installer entre nous. Et comme ça, durant plusieurs jours, elle venait me rejoindre sur mon banc et on ne disait rien. Mais peu à peu, nos langues se délièrent,on se confia, et tout naturellement nous devînmes amies. Et comme pour marquer cela, nous décidâmes d'échanger symboliquement son blouson pourri contre un de mes immondes pulls mauves.
D'ailleurs, je crois bien que le dernier jour, c'était ce pull qu'elle portait.

Ma vie en grandWhere stories live. Discover now