Jour 5

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Comme décidé, j'attendais la voiture d'Anna sur la place de mon village. Hier au soir, les yeux encore rougis, elle m'avait souri maladroitement, en m'annonçant que ce serait elle qui m'emmènerait quelque part où je n'étais pas encore allé. Elle m'avait dit de prendre de quoi dormir, me baigner, courir, danser. Elle avait ajouté : « et cette fois, c'est moi qui paie. J'espère que ma surprise te plaira. »


Quand je l'ai vue, dans sa voiture, souriante et sans aucune trace de la journée de la veille, je me suis senti bien. Quand je la retrouvais, le matin, je me disais qu'elle me manquait toujours plus.


– Alors, où allons-nous ?, demandai-je en entrant dans la voiture.


– Mystère !


En effet. En arrivant sur les lieux, après trois heures de route, j'étais stupéfait de voir la grandeur de l'endroit. C'était un parc d'attraction, une piscine, une discothèque, un boulodrome, un golf ; c'était tout à la fois.


– Il y a même une piste de ski artificielle, commenta Anna.


– En été ? m'étonnai-je.


– En hiver. Et en été. Mais ce n'est pas ici que je voulais t'emmener. Enfin, pas pour ce matin, en tous cas. L'aérodrome est derrière.


Mon sourire s'agrandit encore plus en entendant ce mot : aérodrome. Le hangar du SAF se trouvait juste à côté. J'avais fait plusieurs stages là-bas et j'avais vraiment adoré. Après avoir longé le parc, nous sommes arrivés là-bas. Un écureuil était prêt à décoller. Un homme se tenait devant ; Anna l'appela.


– Hé, Fabrice !


– Salut Anna. Êtes-vous prêts à partir de suite ?


Anna se tourna vers moi l'air d'attendre ma réponse.


– Oui, dis-je. Bonjour, je suis Quentin, ajoutai-je en serrant la main que me tendait l'homme.


– Je sais, rit Fabrice. Alors, vous pouvez monter.


Ils me laissèrent passer en premier. Cet hélicoptère-ci avait trois places à l'avant. Parfait.


Le son des pales qui tournaient à toute allure me remplit de bonheur. Chacun mit son casque sur les oreilles, et on décolla. Je regardais le sol qui s'éloignait, puis, avec admiration, Fabrice qui pilotait calmement, ses doigts volant d'une commande à une autre, avec des gestes totalement maîtrisés.


Ce qu'il faisait ne m'était pas inconnu. Jusque-là, j'aurais pu reproduire chacune de ses manœuvres, tout en déterminant leur fonctionnement et leur utilité.


– Ici, c'est l'aiguille de la Grande Sassière, commenta Fabrice en désignant un pic de la main. De l'autre côté, c'est l'Italie.


Il y eut un silence, puis il reprit :


– Comme ça, tu souhaites passer ton brevet de pilote, Quentin ?


– C'est ça, dis-je.


– Où en es-tu ?


– J'ai tout appris, je suis en train d'approfondir certain points.


– Et quand le passeras-tu ?


– Dès que j'aurais assez d'argent.


– Parce qu'il te manque combien ?


– J'en aurai bientôt assez pour exercer à titre privé, mais je voulais en faire mon métier.


– Alors courage, gamin. D'ici là, fais en sorte de ne pas le rater une fois que tu pourras le passer.


– En effet. Merci.


Puis on continua, pendant la demi-heure qui nous restait. Fabrice nous désigna certains endroits, qui étaient encore plus beaux vus d'en haut. Tout autour de moi m'émerveillait. Presque spontanément, je glissai ma main dans celle d'Anna, qui me sourit. Quand le temps de vol fut écoulé, j'eus l'impression que seulement trois minutes étaient passées. Et pourtant. En descendant, je fis le tour de l'hélicoptère. Un écureuil blanc. Ce fut le numéro de série, sur la dérive verticale, qui attira mon attention lorsque je posai les yeux sur lui. « 1207 ». Ma date de naissance. Les yeux grands ouverts, j'appelai Anna à venir voir.


– C'est ma date d'anniversaire ! m'écriai-je tel un débile.


Le midi, nous pûmes manger à la cantine du SAF, et je pus poser autant de questions que possible à Fabrice. Quant à l'après-midi, nous allâmes au parc. Les doigts entrelacés, tel un vrai couple, nous parcourions les différentes activités proposées, s'arrêtant à plusieurs endroits qui nous plaisaient.


Ce qui m'a le plus marqué, c'est que même avec la mort de son père, Anna n'avait jamais cessé de sourire en ma présence. Et le soir, après avoir essayé le stand de chute libre, les montages russes qui passaient dans une grande étendue d'eau, les auto-tamponneuses, les baptêmes à cheval, le faux taureau de rodéo, et bien d'autres, c'est dans le carrousel ancien que nous avons fini notre journée, toujours liés de par nos mains.


Alors que le tour se terminerait très bientôt, Anna se tourna vers moi. Ses yeux dorés brillaient. Très lentement, elle baissa les paupières et s'avança vers moi. Passant mon bras dans son dos, je fis de même. Lorsque nos lèvres entrèrent en contact, c'était comme si un feu d'artifice démarrait dans ma tête. Avec des couleurs chaudes, et l'envie d'en voir plus encore.


Tandis que nous nous décollions enfin, les yeux dans les yeux, le carrousel était arrêté. Les gens nous regardaient. Comme une seule personne, Anna et moi rimes d'un rire nerveux, puis sortîmes du manège, sous les yeux médusés des adultes qui nous dévisageaient.


Nous sommes arrivés tard à l'hôtel d'Anna. Nous sommes rentrés dans sa chambre en s'embrassant lentement puis, à la même allure, elle a déboutonné sa chemise noire. J'enlevai mon tee-shirt.


– C'est ma dernière nuit ici, me chuchota-t-elle à l'oreille. Alors fais-en la meilleure de ma vie.

Moonlight BeatsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant