Moonlight Beats

Jour 1

La semaine passa très, très lentement. Et, le jour J, un mardi dix-huit août exactement, je pris ma voiturette, fraîchement acquise de par mes parents, mis la radio et démarrai mon trajet de trois heures vers Lyon.

Aujourd'hui, en direct sur nos radios, découvrez tous les chanteurs de notre enfance, qui reviennent sur leur parcours et nous parlent de l'avenir ! claironna le présentateur radio.

Je montai un peu le son et me concentrai sur la route. Une fois arrivé sur place, je pris le temps de me garer car j'étais en avance, et m'installai à une table sur la terrasse du café, à l'ombre.

Mon futur héro arriva une grosse demi-heure plus tard, alors que je commençais à désespérer. Moi qui l'imaginais la cinquantaine, au vu du fait qu'elle écoute les Moonlight Beats, et ne connaissant que son prénom, Anna, j'ai été surpris lorsque j'ai vu arriver une petite brune, environ mon âge, soit la vingtaine, avec des chaussures à petits talons, un jean large et un haut bordeaux. Le paquet qu'elle tenait à la main m'a prouvé qu'elle était bien la personne que j'attendais. Elle regardait autour d'elle et, me voyant lever une main, vint s'asseoir en face de moi.

– Bonjour, dis-je.

– Bonjour. C'est donc vous qui voulez cet album ? Je ne vous imaginais pas comme ça.

– Plus vieux ?

– En effet, oui. Alors, le voilà, fit Anna en sortant l'album de son paquet. Il est dans ma famille depuis plusieurs années, et il est maintenant temps pour moi de m'en séparer. Vous êtes un connaisseur de ce groupe ?

– Oh oui. Je rêve de cet album depuis toujours. C'est une chance pour moi d'être tombé sur vous.

Un serveur s'avança.

– Vous désirez ? demanda-t-il.

– Un SevenUp, fîmes-nous en chœur.

Le serveur repartit avec un petit « hum... je vois ». Anna sourit. Elle me tendit l'album et je pus enfin poser les mains dessus, sentir les reliefs de la lune claire sous ma peau.

– Merci, dis-je.

– Pas de quoi. Je ne l'écoute plus depuis longtemps, alors autant qu'il fasse un heureux.

– Un heureux, ça vous l'avez dit.

Elle avait les yeux très bruns, avec un liseré doré rendant son regard féerique. Après avoir échangé quelques banalités et un chèque plus tard, nous avons décidé de nous quitter. Alors que je la raccompagnais à sa voiture, Anna me dit d'attendre, fouilla dans sa boîte à gants et en sortit une enveloppe et un stylo. Avec ce dernier, elle écrivit quelque chose sur le papier avant de me le tendre.

– Ce sera mieux pour transporter l'album, commenta-t-elle. Bon... au plaisir de se revoir.

– En effet ; de même pour moi, dis-je en prenant l'enveloppe.

Nous nous fîmes une bise maladroite, puis je regardai la voiture grise anthracite s'éloigner, et la jolie brune avec.

J'attendis d'être bien installé dans mon auto pour soigneusement retirer le CD de son album. C'était à ce moment que je regardai l'inscription sur l'enveloppe.

06.19.55.48.20 N'hésite surtout pas à t'en servir :)

Le sourire aux lèvres, j'allumai la radio et glissai le disque dans la fente. Bientôt, un agréable air de guitare envahit l'espace.

When you see the sea

Think about me

When you see the stars

Think about the moonlight beats

Je secouais encore la tête comme un idiot lorsque je suis arrivé chez moi. Mon père m'attendait à l'entrée.

– Alors, tu l'as ?, me demanda-t-il.

– À toi le privilège, mon cher, souris-je en lui tendant l'album.

Une fois seul dans ma chambre, je m'allongeai sur mon lit, les mains derrière la nuque. Je regardai les posters à mon plafond. La majorité était de mon groupe de musique favori, dont je n'ai maintenant plus besoin de citer le nom, et les quelques autres représentaient un grand rêve pour moi : devenir pilote d'hélicoptère pour l'armée, ceux-ci ornant également mes autres pans de mur.

Puis je roulai sur le côté, en entendant mon père qui chantait avec les Moonlight Beats.

When a sunrise is born in your heart

You can say that you won't be hurt

J'attrapai mon cellulaire, resté sur mon bureau, m'y installai et composai le numéro d'Anna dans ma messagerie.

« Combien de temps restez-vous dans la région ? - Quentin », demandai-je. La réponse arriva dans la foulée.

« Vous pouvez me tutoyer, vous savez. Je reste six jours ici. » J'essayai de formuler le mieux possible mon invitation. « Alors, toi aussi ;) Et as-tu envie de voir du pays ? »

« Avec grand plaisir ! »

Je souris, en songeant à ce qu'il y avait à faire aux alentours : rien. Enfin, presque rien. Des caves à fromage ? Pas très glamour.

« Tu as de la famille dans le coin ? », questionnai-je.

« Plus depuis un certain temps, mais pourquoi ne pas redécouvrir la région avec un nouveau point de vue ? »

Et là, j'aurais pu entendre le grésillement de l'ampoule qui s'allumait au-dessus de ma tête.

« Il y a, en haut de la montagne de chez moi, une ferme avec plein de visites et activités intéressantes, ainsi qu'un immense labyrinthe. Qu'en dis-tu ? »

« J'en avais déjà entendu parler, et je rêve d'aller l'essayer. Je n'ai jamais trouvé quelqu'un qui voulait bien m'y emmener, alors que ça doit être un endroit super. »

« En effet ! Je l'avais fait quand j'avais quinze ans et j'ai adoré. Quand peux-tu ? »

« Demain à 10 heures ? J'achèterai de quoi manger. »