Partie 45 : Bienvenue au Paradis - 1

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Une douce chaleur ensoleillée sur sa peau, un courant d'air frais qui s'infiltrait sous ses vêtements... pas de doute, Kea était bel et bien au Paradis.

— Kea pas prête.

— Mais si, bien-sûr qu'elle l'est, fais-moi confiance, gros nounours. Et vous, les tricouillards, je vous conseille de débarrasser le plancher sur le champ ou je vous transforme en merde fossilisée.

Plutôt étrange comme conversation angélique, mais pourquoi pas. Kea ne jugeait pas. Aderoth, pour sa part, n'avait rien d'un enfer au sens propre, et pourtant c'était de ce monde que provenaient les démons et à partir duquel on avait bâti les légendes qui les entouraient, alors pourquoi le Paradis échapperait-il à cette même règle ?

Sa douleur était partie, elle se sentait bien, comme sur un nuage. Un nuage pas si confortable d'ailleurs, elle avait l'impression de reposer sur un tas de branches, de cailloux et de feuilles. Et elle aurait juré avoir senti comme un serpent qui rampait sous elle. Mais qu'importe ? Elle était au Paradis. Plus rien ne pouvait l'atteindre.

Elle souleva doucement ses paupières et découvrit deux yeux globuleux qui la fixaient. Elle hurla et le coup partit tout seul.

Elle venait de mettre un Akkouq à terre, un Akkouq qu'elle ne connaissait que trop bien.

— Okiri !? S'exclama-t-elle, abasourdie, et tentant vainement de maîtriser son pouls qui s'affolait toujours sous le choc. Mais qu'est-ce que tu fais au Paradis ?

Elle tourna son visage et s'aperçut qu'Amiziras était également de la partie.

— Au Paradis ? Crottouille, je crois qu'elle a perdu la boule, marmonna la sorcière. Oui, oui, je te dis, elle est folle, j'ai dû me tromper quelque part dans la formule.

Elle parlait de nouveau toute seule, mais Kea se surprit à sourire, elle était si heureuse de voir des visages qui lui étaient familiers.

— Ah, voilà qu'elle sourit bêtement maintenant. C'est sûr, elle n'a plus toute sa tête, continua la vieille folle en se grattant le crâne. JE M'AP-PEL-LE A-MI-ZI-RAS, articula-t-elle en direction de Kea.

La jeune femme était un peu inquiète quant à la réaction de la démone excentrique. Elle la savait étrange, mais elle semblait particulièrement illuminée en cet instant précis.

— Est-ce que vous êtes morts vous aussi ? demanda-t-elle alors au couple, soudain peinée à cette idée.

— Mais évidemment que non, enfin ! s'indigna Amiziras. Tu vois bien qu'on est en vie, bougre d'andouille ! Erf, mais oui, je sais, je sais, ce n'est pas sa faute, c'est la mienne, mais elle pourrait faire un effort quand même.

Kea ne comprenait plus rien. Que viendraient faire l'Akkouq et la sorcière au Paradis s'ils n'étaient pas morts eux-aussi.

— Qu'est-ce que vous faites là alors ?

— On est venu te chercher pardi ! Pour quelle autre raison on aurait traversé le portail. Tout ce qu'il nous reste à faire maintenant, c'est de trouver un marché à passer, clarifia la vieille folle comme si cette explication suffisait.

Le portail ? Un marché ? Qu'est-ce que tout cela signifiait ? Kea regarda autour d'elle et prit soudain conscience d'où elle se trouvait. Elle était en plein milieu d'une forêt vierge, d'une jungle plus exactement, et elle reposait bel et bien sur un tas de feuilles, de branches, et de cailloux. Quant au serpent qu'elle avait senti un peu plus tôt, mieux valait qu'elle n'y pense pas.

— Mais... où est-ce que je suis ? s'interrogea-t-elle, en continuant d'observer son environnement.

— Certainement pas au Paradis en tout cas mon petit, le Paradis n'existe pas. Tu commences à te rappeler, ça y est ? se radoucit Amiziras dans un effort surhumain. Tu as passé le portail, tu es sur Terre.

— Non, c'est impossible. Je devrais être morte. Yuan a tué Manakel... A moins que... mon Diable, Manakel est toujours en vie ! s'écria-t-elle tout à coup, faisant sursauter son interlocutrice.

— Quoi ?! hurla la sorcière édentée. Où ça ? Où il est ?!

Sous le coup de l'émotion, Okiri s'était retrouvé en haut d'un arbre en un tour de bras. Pendant ce temps, Amiziras se retournait dans tous les sens, en faisant des petits sauts les deux pieds écartés à chaque fois qu'elle changeait de direction.

— Mais non, tu vois bien qu'elle délire encore, pesta la sorcière contre elle-même une fois après s'être assurée que personne n'arrivait derrière son dos.

— Je ne comprends pas, dit Kea.

— Non, manifestement tu as dû perdre quelques neurones au passage lors de ton voyage à travers le portail, lui expliqua la vieille folle. Mais tant pis, on fera avec.

— Non, je veux dire. Si Manakel est bien mort, pourquoi est-ce que je suis toujours en vie ?

— Mais parce qu'il n'a jamais été question que tu meures.

Plus Amiziras tentait de lui expliquer la situation, et moins Kea ne comprenait. Devant son air abruti, l'enchanteresse se sentit obligée de poursuivre ses explications :

— Okiri t'a vu passer le portail. Je veux dire, il t'a vu le faire avant que tu ne le fasses. C'est à cause de sa nature d'Akkouq, il a des visions parfois. Ce n'est pas sa faute, c'est comme ça, dit-elle en le regardant avec tendresse. Bref, juste avant que je ne lance le sort sur la dague, il m'a demandé de le modifier quelque peu de façon à te rendre résistante à la traversée. Vu toute la magie que je canalisais à ce moment là, cela n'a pas été très compliqué à mettre en place.

— Mais alors, je ne vais pas mourir ? s'émerveilla Kea.

— Non, et ce n'est pas près d'arriver. Enfin, à moins que tu ne te fasses embrocher. Mais je ne savais pas trop quel sort utiliser pour te rendre suffisamment résistante à la violence du trajet à l'intérieur du portail... Du coup, dans le doute, je t'ai lancé un sort d'immortalité.

— Un quoi ?! glapit Kea.

— T'es bouchée ou quoi ? La traversée t'a vraiment sonnée. UN SORT D'IM-MOR-TA-LI-TE, articula de nouveau la vieille femme.

— Tu peux faire cela ? demanda Kea ébahie.

— Mais évidemment malheureuse ! Sinon je ne l'aurais pas fait, explosa Amiziras qui perdait visiblement toute patience.

— Je n'ai pourtant pas le souvenir d'avoir jamais eu vent d'un tel sort, ni d'un démon qui serait capable de le lancer, s'étonna Kea médusée.

— Qu'est-ce que tu crois, petite ? Je ne suis pas la plus grande enchanteresse de tout Aderoth pour rien, répondit Amiziras avec suffisance. Mais tu as raison sur un point. N'importe quel humain lambda n'aurait pas pu le supporter. C'est ta nature de Nephelie et toute la puissance qu'elle engendre qui a rendu cela possible. Voilà pourquoi ce sortilège est si peu connu de nos jours, il s'est éteint en même temps que tes semblables, il y a des milliers d'années de cela. Les démons sont déjà immortels pour leur part, le sort n'a aucun effet sur eux. Car ne va pas croire que cela te rende invincible pour autant, la mit-elle en garde. Immortalité ne signifie pas invulnérabilité. Tu serais morte si tu étais restée sur Aderoth alors que Manakel s'éteignait. Le sort du mariage est trop puissant, il combattait celui que je t'ai lancé. Tu ne vieilliras pas mais tu pourras être blessée mortellement, tout comme peuvent l'être les démons. 


Les Démons d'Aderoth (Edité : Valala Drakht)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant