Épilogue : Juste Rose

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Valerian fit rouler ses yeux dans ses orbites.

– Tu m'as poussée alors que j'étais en train de te faire un câlin ! reprit Chardon, outrée.

– Ah.

L'infortuné amant tenta de déposer un tendre baiser sur les lèvres de sa belle, dans l'idée que cela suffirait peut-être à lui faire oublier le terrible forfait dont il venait, bien involontairement, de se rendre coupable. Pas de chance, Chardon semblait plutôt d'humeur à le détester pour l'instant. Il fallait opter pour une autre approche.

– Mais vois-tu, ma mie, tenta-t-il de s'expliquer, il se trouve que tes imposantes – mais non moins délectables – rondeurs m'empêchaient juste un tout petit peu de respirer.

Pour faire bonne figure, il déposa deux nouveaux baisers sur ceux qui avaient bien failli devenir l'arme de son crime personnel. Chardon tressaillit, mais ne cessa pas pour autant de le fusiller du regard.

– Parce qu'en plus c'est de ma faute ? s'offusqua-t-elle. Non mais vraiment, je ne sais pas ce que je peux bien te trouver ! Tu n'es qu'un goujat, un malotru !

Cette fois, c'en était trop pour Valerian – à moins que l'idée de se lancer dans un concours d'insultes fleuries ne le tente, au final. Il explosa à son tour :

– Espèce de pudibonde callipyge !

– Égrillard cacostomique !

– Nyctalope !

– Sycophante !

– Marie-Salope !

Chardon stoppa la chaîne de répliques, les sourcils froncés.

– Ce n'est pas une insulte, idiot, c'est un type de bateaux !

Elle leva les yeux au plafond, soupira, réorienta son regard sur son amant, qui, impassible, attendait sa prochaine réplique.

– Oh, tu m'énerves ! maugréa-t-elle. Tu m'as coupée dans mon élan, je suis à court d'idées !

À défaut, elle approcha son visage de celui de Valerian, immobile et fasciné, et s'employa à mouvoir ses lèvres dans une tout autre optique – moins bruyante et plus humide, celle-là.

Plus tard cet après-midi-là, alors que sa douce amie se trouvait pelotonnée dans ses bras, Valerian se reprit à songer au destin de Rose. Il se souvenait de sa dernière entrevue avec elle, quand, échevelée et essoufflée, elle avait débarqué dans le village indien pour l'emmener à dos de licorne. Il revoyait la honte apparaître sur son doux visage lorsqu'elle s'était aperçue de la trahison d'Olivier, et se rappelait avoir tenté de l'en protéger. Elle n'avait pas versé une larme, solide petite Rose luttant contre l'adversité et prête à se sacrifier pour réparer ce qu'elle considérait comme ses propres erreurs – quand bien même personne n'aurait songé à lui reprocher les événements de cette tragique journée.

– À moi aussi elle me manque, murmura soudain Chardon, à moitié endormie, comme si elle avait lu ses pensées. Mais elle n'aurait pas voulu que nous nous lamentions sur son sort. Elle nous aurait souhaité de vivre, et de profiter de ce monde qu'elle nous a offert.

La gorge nouée, Valerian hocha lentement la tête. Et il se jura de profiter pleinement des années dont Rose, par son sacrifice, leur avait fait cadeau. Il aimerait Chardon autant qu'il se disputerait avec elle, et leur amie d'enfance, où qu'elle puisse se trouver, serait le témoin privilégié de leur bonheur ; il le savait au fond de lui.

***

La vie avait pris un goût amer depuis quelques mois. Un goût de sel et cendres, qui semblait étouffer chaque saveur, chaque joie. Olivier vivait, certes, et il épaulait son père – adoptif – de son mieux dans la délicate gestion des intérêts de l'Île. Il ne s'accordait pas un instant de répit, se levant aux aurores chaque matin, travaillant d'arrache-pied, et partageant chaque instant de liberté entre les deux familles dont il avait désormais hérité : Donatien de Tantale, ce père ambitieux et imposant d'un côté, et le couple charmant que formaient ses parents biologiques de l'autre, qui avaient souhaité faire sa connaissance après que Valerian leur ait rapporté la vérité sur l'échange dont Olivier et lui avaient été victimes. Et puis il fallait également supporter les inlassables bavardages de la volubile Edelweiss, les bêtises des petites jumelles, Aubépine et Capucine, ainsi que les fréquentes crises d'hystérie de Chardon. Olivier, cependant, leur vouait à tous une adoration nouvelle et sans limites. Ils étaient sa famille désormais, ces frères et sœurs, cousins et cousines qu'il n'avait jamais eus. Ne manquait qu'une personne – sa seule absence, toutefois, suffisait à dépeupler l'Île tout entière, malgré tous les efforts.

Pétales de Rose et rameau d'OlivierWhere stories live. Discover now