Épilogue : Juste Rose

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Ce fut avec cette pensée à l'esprit, un sourire sur le visage, qu'elle rejoignit Aguaje. Le jeune indien l'attendait auprès des piliers brisés qui, autrefois, marquaient l'entrée du sanctuaire. Son torse nu et musclé, devant lequel plus d'une damoiselle s'était pâmée, demeurait aussi agréable à l'œil que de coutume. À ses côtés, Lauren et Niniann, les licornes du bayou, dardaient leur regard doux sur Edel tandis qu'elle s'approchait.

– Aucun changement ? lui demanda le jeune homme, pour la forme.

– Nope, avoua Edelweiss dans un haussement d'épaules, sans se départir de son humeur enjouée pour autant.

Ils montèrent à dos de licornes et prirent la direction du bayou et de ses mille rivières et ruisseaux, prenant garde à éviter les branches chargées de roses qui leur cinglaient les épaules de temps à autre. Leur patrouille leur apprit que tout était en ordre dans ce secteur-là : la nature croissait et reprenait ses droits sur les terribles cicatrices boueuses creusées par les bulldozers, quelques mois plus tôt. Les licornes s'immergèrent avec délectation dans l'eau claire, ignorant les remous. Edel regardait passer le paysage distraitement. Tant de souvenirs lui revenaient de ses récentes aventures ! Sa vie avait changé si drastiquement depuis cette soirée d'été où elle s'était retrouvée à fuir en pirogue encombrée de Rose et Chardon, sur des eaux traîtres et infestées de...

– Alligators !

La voix d'Aguaje la tira de sa rêverie. Elle dégaina Serge, son coutelas de chasse de trente-cinq centimètres avec manche en os de ragondin – une acquisition récente – et se prépara pour ce qui suivrait, sans interrompre pour autant le cours de ses réflexions.

Oui, les choses avaient changé. Rose n'était plus là et Edelweiss avait hérité du statut d'aînée à sa place. Elle-même changeait, elle le savait. Elle se sentait plus adulte, plus apte à assumer ses responsabilités et à jouer son rôle sur cette Île merveilleuse qui lui servait de foyer. Et qui savait, un jour peut-être, Aguaje se rendrait-il également compte de ces changements. Un jour peut-être, le bel indien remarquerait enfin que c'était une femme qui se tenait à ses côtés, et non plus une petite fille... Une femme et un coutelas de trente-cinq centimètres.

***

Valerian s'éveilla en sursaut, tiré d'un cauchemar où il se noyait sans pouvoir lutter. Il tenta d'avaler une profonde goulée d'air, censée calmer ses pulsations emballées, mais rien ne vint. Paniqué, le jeune homme réalisa qu'il lui était effectivement impossible de respirer. Rien. Pas. Un. Souffle.

– Val ! Val ! Mais arrête enfin, tu vas me faire mal à te débattre comme ça !

La voix paniquée de Chardon lui remit les idées en place, et il réalisa soudain la triste véracité de sa situation : il s'était simplement endormi un peu trop près de l'imposante poitrine de sa charmante amie. Or, Chardon avait une vilaine tendance à se coller à lui lors de leurs siestes crapuleuses, et vu les attributs donc la nature l'avait dotée, cela pouvait effectivement s'avérer dangereux, provocants, dans les pires des cas, des étouffements aussi agréables qu'improbables. Valerian soupçonna un instant Gaïa de se trouver derrière cette odieuse tentative de meurtre, avant de se souvenir que l'esprit de l'Île ne les menacerait plus, désormais. Grâce soit rendue à Rose.

Le prénom de son amie disparue, sacrifiée, manqua de le plonger dans une mélancolie douloureuse, mais Chardon sut toutefois se rappeler à son bon souvenir, en lui plantant un doigt dans les côtes.

– Aïe ! sursauta le malheureux jeune homme. Qu'ai-je encore fait pour mériter un tel traitement, espèce de meurtrière mammaire ?

– Tu m'as poussée !

Pétales de Rose et rameau d'OlivierWhere stories live. Discover now